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donnait à entendre qu’il serait patriotique de le renverser. Ce qu’il y a de sûr, c’est qu’il a beaucoup contribué à sa chute. S’il ne connut pas d’avance les projets de l’Union civique, ce qui n’est pas certain, il eut durant l’insurrection des pourparlers avec les insurgés. C’est peut-être ce qui explique pourquoi, le 27 au matin, ceux-ci, après avoir repoussé une grande attaque et à un moment où ils auraient encore pu prendre l’offensive, demandèrent un armistice qui en réalité, à part quelques fusillades accidentelles, mit fin aux hostilités.

Revenons au président : après l’insuccès du premier engagement contre le Parc d’Artillerie, il avait jugé à propos de gagner au large. Il se rendit d’abord à Campana, port sur le Parana et station du chemin de fer du Rosario, par lequel il était en contact avec toute la république. Le général Roca l’ayant fait prévenir qu’un bâtiment de la flotte pourrait l’y enlever, il revint sur ses pas à San-Martin, sur le même chemin de fer et à quelques kilomètres de Buenos-Ayres. Son frère Marcos avait, de son côté, fait précipitamment chauffer un train pour courir à Cordoba et expédier des renforts. Il envoya, en effet, quelques gauchos organisés tant bien que mal en bataillons de garde nationale. Cet homme avisé n’ignorait pas que l’argent est le nerf de la guerre ; il fit au préalable une rafle dans les caisses de la Banque nationale, et ne monta en wagon que les poches aussi bien garnies que le permettait la situation précaire de cet établissement. Le ministre des affaires étrangères était au Rosario, concentrant sur Buenos-Ayres toutes les troupes qu’il pouvait et réunissant quelques milices. Une partie de ces forces arriva même à temps pour prendre part aux combats infructueux du 27.

Les insurgés recevaient également des renforts. Les abords de leurs retranchemens étaient libres de trois côtés, et l’affluence des volontaires leur permettait de rayonner de plus en plus loin de leur place d’armes. Ils occupaient à une grande distance les édifices dominans et les terrasses des maisons élevées. La population entière était pour eux. J’étais sur mon balcon quand ils vinrent prendre possession de mon quartier. Toutes les boutiques étaient fermées et l’angoisse était grande ; mais la rue était pleine de monde : chacun aimait mieux s’exposer aux balles que rester enfermé sans nouvelles. Soudain, s’éleva une grande acclamation : « Vive l’Union civique ! » Une quinzaine de jeunes gens, le fusil au poing, débouchaient d’une rue transversale, leur bataillon était massé sur le boulevard Callao, tout auprès. Le cafetier qui occupe le rez-de-chaussée de la maison d’angle, une grande bâtisse à trois étages, retira aussitôt les volets de sa devanture, leur offrit à boire, on applaudit. Ils refusèrent, s’orientèrent vivement, gravirent l’escalier quatre à