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REVUE. — CHRONIQUE.

inévitable et redoutable ; mais, à part ce bill de protectionnisme violent et imprévoyant, qui est venu au dernier moment, à la veille des élections, c’est par toute leur politique que les républicains ont réussi à exciter les mécontentemens et à perdre leur autorité. Le fait est que les républicains américains ont tout épuisé pour assurer leur règne en se créant une majorité factice. Ils ne se sont pas bornés à épurer la chambre des représentans par le moyen commode des invalidations arbitraires, ils ont fait mieux pour le sénat. Ils ont introduit dans l’Union quatre nouveaux états qui sont à peine peuplés, mais dont la représentation leur assurait dans le sénat une majorité plus compacte. Une fois maîtres des majorités et du pouvoir, ils n’ont plus connu de frein. Ils ont tout plié, le trésor comme le reste, à l’intérêt de parti. La liste des pensions, ouverte à la fin de la guerre de sécession, est devenue elle-même un moyen de gouvernement ou de captation. Par un phénomène singulier, au lieu de diminuer par la mortalité, elle ne fait que s’accroître par une série d’interprétations habilement calculées. Les républicains, par un bill tout récent, l’ont encore étendue de façon à y comprendre, après les blessés, les éclopés et les parens des victimes, les cliens du parti, — si bien que, vingt-cinq ans après la guerre, il y a aujourd’hui près de 600,000 pensionnés, et le budget des pensions va dépasser 80 millions de dollars. Voilà de quoi alléger les excédens du trésor dont on se plaignait et de quoi grossir les dépenses que l’esprit de parti ne cesse d’augmenter pour prolonger son règne. Le résultat est ce vote du 4 novembre, témoignage des mécontentemens croissans, présage du déclin imminent des républicains aux États-Unis.

Ce n’est point, à la vérité, que ce scrutin, quelque significatif qu’il soit, puisse avoir un effet immédiat, soit pour ce bill Mac-Kinley qui intéresse l’Europe, soit pour la direction générale des affaires américaines. D’abord, cette chambre renouvelée ne se réunira qu’au mois de mars, et même à la rigueur la réunion pourrait en être encore ajournée. De plus, s’il y a dans cette chambre des représentans récemment élus une majorité nouvelle, les républicains restent toujours provisoirement maîtres de tout par la présidence et le sénat, qui ne seront pas soumis à l’épreuve d’un nouveau scrutin avant deux ans. Ce vote du 4 novembre ne demeure pas moins une protestation des plus accentuées ; il est le signe d’un mouvement décide d’opinion fait pour contenir l’esprit de parti, et si, malgré tout, les républicains s’obstinaient dans leur politique, ils ne feraient probablement qu’ajouter aux irritations, enflammer les ressentimens et les instincts d’opposition dans les masses. C’est donc une situation assez nouvelle qui commence avec le scrutin du 4 novembre ; c’est une crise qui s’ouvre dans la grande république américaine, et, si l’on voulait : s’élever un peu plus haut, on pourrait ajouter que ce qui arrive aux républicains