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seule suffire aux difficultés de la situation délicate créée par la maladie ou pour mieux dire l’agonie prolongée du roi Guillaume III d’Orange.

Elle est d’autant plus délicate, cette crise d’interrègne, difficile à avouer et difficile à déguiser, que l’an dernier on a été exposé à une espèce de mésaventure. Le roi semblait toucher à sa fin ou tout au moins était tombé dans une prostration qui semblait le prélude de la fin. On avait déjà pris toutes les mesures de prévoyance que nécessitait une situation incertaine, compliquée de la séparation de l’état néerlandais et du grand-duché de Luxembourg. Une régence se préparait pour la Hollande; le duc Adolphe de Nassau, l’héritier désigné du Luxembourg, avait déjà pris la direction provisoire des affaires du grand-duché, lorsque tout à coup le roi Guillaume, revenant à la vie, ressaisissait d’une main maladive et un peu impatiente le sceptre près de lui échapper. Ce n’était évidemment qu’un répit, et voici qu’aujourd’hui, après un an, la même situation se reproduit avec une aggravation avérée dans l’état du prince. On s’est souvenu, sans doute, de la mésaventure de l’an dernier. On ne s’est point hâté, on a caché, tant qu’on l’a pu, l’état du roi. Ce silence cependant n’était pas sans inconvéniens graves, d’autant plus que ce qu’on ne disait pas, ce qu’on n’avouait pas officiellement était répété tout haut dans les meetings d’Amsterdam, où l’on accusait le ministère, le président du conseil, M. Mackay, où l’on se servait même de ce prétexte pour mettre en doute la monarchie. Il fallait en finir avec les temporisations inutiles, et on s’est décidé à tout avouer, à provoquer des mesures nouvelles. Encore une fois le duc de Nassau a été rappelé à Luxembourg, où il s’est rendu non sans avoir hésité un instant et où il a repris un pouvoir qui n’est que provisoire. A La Haye, les états-généraux ont été appelés par le ministère à délibérer, et le conseil d’état a été invité à exercer les droits de la royauté en attendant une régence déclarée. Ici seulement survient une complication nouvelle. La loi constitutive de la régence désigne bien la reine Emma comme régente après la mort du roi; elle ne prévoit pas le cas de l’incapacité du souverain, et il faut une loi spéciale. Les Hollandais procèdent sans trouble, avec sagesse, à ce règlement d’un genre d’interrègne assez imprévu qui peut finir demain comme il peut aussi se prolonger encore.

Tout se passe sans doute avec calme dans cet honnête pays. Ce n’est pas cependant sans une certaine émotion que les vrais Hollandais verront s’éteindre en Guillaume IH, le dernier-né, le dernier représentant mâle de cette maison d’Orange dont la fortune se confond si intimement avec l’histoire nationale. Ce n’est pas sans une vague et indéfinissable appréhension qu’ils verront s’ouvrir, le jour où le roi Guillaume aura définitivement disparu, une ère nouvelle, la minorité d’une jeune fille sous la régence d’une princesse étrangère au milieu des conflits du temps. Si fidèles qu’ils soient à leur dynastie, à l’enfant