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Le sujet était digne de la musique autant que de la poésie, et peut-être n’a-t-on pas oublié quels vers il inspira jadis, quelle imprécation contre la femme, éternelle menteuse d’amour. Jamais des lèvres d’homme n’en ont proféré de plus âpre, de plus désespérée, fût-ce les lèvres de Musset dans cette nuit d’octobre, confidente de sa douleur :


Éternel, Dieu des forts, vous savez que mon âme
N’avait pour aliment que l’amour d’une femme,
Puisant dans l’amour seul plus de sainte vigueur,
Que mes cheveux divins n’en donnaient à mon cœur.
Jugez-nous. — La voilà, sur mes pieds endormie ;
Trois fois elle a vendu mes secrets et ma vie,
Et trois fois a versé des pleurs fallacieux
Qui n’ont pu me cacher la rage de ses yeux,
Honteuse qu’elle était, plus encor qu’étonnée
De se voir découverte ensemble et pardonnée,
Car la bonté de l’homme est forte, et sa douceur
Écrase en l’absolvant l’être faible et menteur.
…………….
Il dit et s’endormit près d’elle jusqu’à l’heure
Où les guerriers, tremblant d’être dans sa demeure,
Payant au poids de l’or chacun de ses cheveux.
Attachèrent ses mains et brûlèrent ses yeux[1].


Le voilà, chanté par une voix après laquelle on serait tenté de se taire, le sujet de Samson. Le voilà, livré dès les premiers siècles du monde, le combat qui se livrera jusqu’aux derniers. Les voilà, fixées à jamais en deux types impérissables, la faiblesse des plus forts et la perfidie des plus belles. Relisez le poème, et puis allez entendre l’opéra : l’un et l’autre sont du même ordre : du premier.

L’œuvre de M. Saint-Saëns est avant tout une œuvre forte, fière et droite, comme un chêne. Les sentimens, l’expression, tout y est robuste et d’une touche qui pas une fois ne tremble ou ne mollit. Samson, Dalila chantent en personnages plus grands que nature, chez qui seraient concentrées et portées à leur paroxysme quelques-unes des passions humaines : l’amour, la haine, le patriotisme, la foi. Voilà les quatre principaux traits de la partition, marqués d’un bout à l’autre en empreintes profondes. Samson paraît, et, dès les premiers mots de son premier récit, on reconnaît en lui le géant de la Bible, l’athlète divin. Son peuple est à terre. De quelle main, de quelle voix il le relève ! Elle est superbe, l’exhortation du juge d’Israël, modèle d’éloquence patriotique et sacrée ! Elle commence avec autorité, mais non sans douceur. Les Hébreux ne répondant que par de lâches soupirs, une colère sainte envahit le jeune chef. L’orchestre bouillonne et gronde ; un motif mystérieux des cors y fait passer la promesse, la menace,

  1. A. de Vigny, la Colère de Samson.