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assez spacieux (on ne comptait pas sur un aussi grand nombre de membres), mais confortable et élégant ; le maire de Liverpool a reçu les délégués à l’hôtel de ville, leur a offert une collation ; la direction des docks les a promenés sur la Mersey, d’où ils ont pu admirer les merveilleuses installations du port ; l’administration des postes, dans un sentiment de prévoyance courtoise, a donné l’ordre d’établir, dans le bâtiment même de la salle des séances, un bureau provisoire chargé de la levée, de la réception, de la distribution des lettres et télégrammes de « MM. les représentans du travail. » Bref, il n’est pas d’attentions et de prévenances dont ils n’aient été l’objet pendant leur séjour. Pourquoi ? Parce que personne en Angleterre ne méconnaît l’influence redoutable des unionistes, parce qu’aucun parti ne songe à contester leur puissance, parce que l’opinion publique, comprenant qu’elle avait fait fausse route, s’est retournée de leur côté avec une remarquable prestesse. Tout le monde convient aujourd’hui que les associations ont grandement contribué à améliorer le sort de la population ouvrière et que leur rôle continuera d’être bienfaisant et fécond aussi longtemps qu’elles ne deviendront pas la proie des politiciens. Au reste, ces dispositions, cette bienveillance instinctive de tout le pays, ce revirement en leur faveur, les délégations les doivent incontestablement à la sagesse et à la réserve du début. À l’origine, il y a vingt-deux ans, elles ont hautement témoigné de leur désir bien arrêté de n’effrayer personne. C’est sur un ton modéré, presque académique, que s’engageait la discussion des problèmes intéressans de l’époque. Manifestement, elles cherchaient à écarter de leurs débats tout ce qui pouvait jeter sur leurs intentions le doute et l’inquiétude. En 1872, l’assemblée de Nottingham protestait vivement contre l’envoi auprès d’elle d’émissaires politiques, et une résolution motivée coupait court à une immixtion qui n’aurait pas été sans péril.

Restait à organiser l’œuvre même des congrès. Déjà, en 1833, on avait essayé de convoquer d’immenses meetings où tous les ouvriers du royaume seraient largement représentés. La tentative ne réussit qu’à moitié, on vivait encore sous un régime d’intolérance. Treize ans plus tard, en 1846, l’association nationale des métiers reprenait le projet primitif, mais elle se heurtait bientôt aux obstacles que l’autorité, les classes élevées s’acharnaient à lui susciter. En 1865, on se reforme, on change de nom, on s’appellera désormais l’Alliance des professions du royaume-uni. Cette fois le but est proche et on va l’atteindre ; on dirait de ces industrieuses fourmis, ardentes à reconstruire le nid dont une main malveillante bouleverse à chaque instant l’édifice sans parvenir à lasser la patience des travailleuses. Sheffield, Preston, Manchester, sont successive-