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Toutes les parties de l’œuvre de Bramante ne portaient pas au même degré le cachet de l’originalité (si tant est que l’on puisse parler d’originalité dans un siècle attaché avant tout à l’imitation, dans un siècle qui s’était proposé pour mission, non de créer, mais de faire renaître). De même qu’à Rome il subit l’influence des modèles romains, de même en Lombardie il prit pour point de départ les modèles du vieux style lombard, ces églises en briques, si fières à la fois et si pittoresques. Il y mêla une suavité, une distinction, un sens de la proportion et du rythme, tels qu’ils n’ont été donnés depuis à aucun des maîtres en l’art de bâtir. Avec lui, l’architecture milanaise, on peut l’affirmer hautement, éclipsa complètement l’architecture florentine. Quelque réfractaire que Léonard se montrât vis-à-vis des leçons de ses confrères, il nous paraît difficile d’admettre qu’il ait pu se soustraire à l’influence d’un charmeur tel que Bramante.

Parmi les peintres milanais, au contraire, aucun n’était de taille à peser sur l’évolution d’un génie comme Léonard. Beaucoup de conviction et passablement de lourdeur, une tendance à voir les objets par grandes masses plutôt qu’à les détailler, le goût des expressions et des attitudes calmes, voilà les traits dominans des représentans de la primitive école milanaise. Moins agités que les Florentins, ils avaient plus de naturel ; moins fervens et moins recueillis que les Ombriens, ils avaient quelque chose de plus reposé ; à la chaleur et à la transparence des Vénitiens, ils opposaient un coloris grisâtre et mat qui ne manque pas de charme. Ils n’ignoraient d’ailleurs ni les progrès accomplis dans la perspective par l’immortel fondateur de l’École de Padoue, Andréa Mantegna, pas plus qu’ils n’étaient étrangers à certaines notions d’archéologie classique. Mais, je le répète, l’indolence qui est parfois une force, je veux dire une force négative, les empêcha d’accentuer outre mesure, comme le firent les sculpteurs milanais, ce qu’il pouvait y avoir d’excessif dans les préceptes des Padouans. Ils ne sortaient d’ailleurs pas du cercle des compositions religieuses, sauf dans les fresques commandées par les Sforza pour leurs palais, avec des scènes de l’histoire contemporaine, des chasses, etc. : ce ne sont que Saintes Conversations, Vierges en gloire, Crucifixions, légendes tirées de la vie des saints. L’allégorie, la mythologie, l’histoire ancienne, la peinture littéraire en un mot, autant de mystères pour eux.

On a souvent prétendu que l’évolution du style de Léonard dans sa nouvelle patrie était due à l’influence de l’école auprès de laquelle il venait se faire agréer. « Arrivé à Milan Florentin, Léonard,