Page:Revue des Deux Mondes - 1890 - tome 102.djvu/416

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— a même induit un des plus savans conservateurs de notre musée national à revendiquer cet ouvrage en faveur de Léonard, seul initié alors, semblerait-il, au mystère de la fécondation des fleurs. Quoique l’on sache aujourd’hui que le buste de Béatrix, si net, si précis et si frappant, a pour auteur un des sculpteurs attitrés de la cour de Milan, Gian Cristoforo Romano, il n’en reste pas moins établi que le More affectionnait pour emblèmes de véritables logogriphes faits pour défier noire pénétration.

Ce penchant à la subtilité, le prince milanais, tout nous autorise à le croire, le laissait également éclater vis-à-vis de la science. Il devait, si nos prémisses sont fondées, encourager les astrologues, les alchimistes, les chiromanciens, bref, tous ceux qui s’entouraient de quelque mystère ou s’enorgueillissaient de quelque découverte extraordinaire.

Lorsque Léonard vint tenter, en 1483, la fortune à la cour du More, il y avait quatre ans que celui-ci gouvernait le Milanais. Ses sujets aussi bien que les étrangers avaient donc eu le loisir de se faire une idée de son caractère et de ses goûts. Léonard, qui n’avait certainement pas négligé de recueillir des informations précises, semble avoir entrevu chez le More un faible pour les sciences occultes. Telle fut du moins la corde qu’il essaya de faire vibrer en lui, à l’aide d’un programme véritablement propre à donner le vertige.

Malgré tant d’affinités entre le Mécène et l’artiste, rien ne prouve que Léonard ait été un des familiers du More. Et tout d’abord où demeurait-il? Au château? j’en doute, puisqu’il prenait des élèves en pension. Il faut nous le figurer comme menant une vie indépendante, sauf à se mêler parfois à la foule des courtisans qui accompagnaient le More dans ses incessantes pérégrinations, à Pavie, à Vigevano, à la Sforzesca. D’après un brouillon de lettre publié par Amoretti, il semblerait même que Léonard restait des mois entiers sans voir son protecteur. Je prends la liberté, — Tel est à peu près le sens de cette épître, qui est malheureusement incomplète, — de rappeler à Votre Seigneurie mes petites affaires. Vous m’avez oublié, affirmant que mon silence était cause de votre mécontentement. Mais ma vie est à votre service; je me trouve continuellement prêt à obéir, etc.

Assurément, ces cours italiennes du XVe siècle comptaient pour peu la naissance, pour beaucoup le talent, et il eût été malséant à des parvenus tels que les Sforza d’attacher du prix à l’antiquité de la famille. Mais encore fallait-il, pour que le talent brillât en pleine lumière et s’imposât au maître, qu’il eût pour corollaire de belles manières, de la faconde, l’esprit de réplique : c’est à