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pas plus au XVe siècle qu’au XIXe que l’on pouvait espérer séduire les masses. C’était à quoi les ressources de la capitale du duché se prêtaient merveilleusement. En dehors de Venise et de Florence, où des règlemens sévères opposaient une barrière au luxe, et qui d’ailleurs, constituées en républiques, n’avaient point de cour proprement dite. Milan éclipsait par sa richesse toutes les autres villes de l’Italie. Le faste y était presque un moyen de gouvernement. La pompe déployée en 1471, par Galéas-Marie Sforza, lors de son voyage à Florence, vivait encore dans toutes les mémoires. N’avait-elle pas rempli d’admiration jusqu’aux Florentins, gent sceptique entre toutes, qui n’avaient pas l’enthousiasme facile! Ludovic estimait, comme son frère Galéas-Marie, que le pouvoir avait pour corollaire fatal la magnificence. Rien ne lui paraissait trop beau ni trop riche pour sa parure. Le fameux diamant de Charles le Téméraire, le Sancy, brilla sur sa toque ou sur son pourpoint. Et si nous descendons aux artes minores, que de zèle, de libéralité et quelle sûreté de diagnostic! La miniature doit à Ludovic un grand nombre de pages exquises, d’une richesse de combinaisons, d’une délicatesse de coloris et d’un charme indicibles : citons au hasard son merveilleux contrat de mariage, aujourd’hui conservé au British-Museum, le frontispice de l’histoire de François Sforza par B. Gambagnola, le Libro del Jesus du jeune Maximilien Sforza, à la bibliothèque Trivulce. La musique n’était pas moins en honneur auprès de lui : j’ai raconté dans une précédente étude comment Léonard sut gagner ses bonnes grâces par son habileté dans le maniement du luth.

Une série de cérémonies, moitié privées, moitié publiques, permirent au More d’associer jusqu’aux plus humbles d’entre ses sujets à la contemplation de tant de merveilles; les têtes nuptiales, organisées par ses soins, dépassèrent en éclat et en raffinement, nous le verrons dans un instant, tout ce que l’Italie de la Renaissance avait vu jusqu’alors. Aussi chacune de ces fêtes et jusqu’à la moindre réception d’ambassadeur était-elle une affaire d’État, dans toute la force du terme ; elle mettait en action tous les ressorts de l’imagination de Ludovic, qui entendait ne rien livrer au hasard. Un exemple entre vingt : en 1491, au moment de recevoir les ambassadeurs du roi de France, il dicta les instructions suivantes dont la précision eût pu faire le désespoir de n’importe quel maître des cérémonies ou chef de protocole : le chef de l’ambassade sera logé dans la chambre des « Asse » où demeure actuellement l’illustrissime duchesse de Bari; on laissera cette pièce telle qu’elle est ornée en ce moment en y ajoutant un ciel de lit fleurdelisé. Les salles avoisinantes, tendues de riches tapisseries, devront servir de garde-robe et de salle à manger. Au second ambassadeur, Ludovic