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maladies graves, c’est le sentiment de sécurité, de bien-être, presque de volupté, qu’éprouva l’Italie à ce moment psychologique. « l’an 1490, où notre très belle cité (Florence), noble par ses richesses, par ses victoires, par ses arts et ses édifices, jouissait de l’abondance, de la santé, de la paix,.. » telle est l’inscription tracée sur les fresques de Domenico Ghirlandajo à Santa-Maria-Novella. C’est en lZi90 également que Guichardin, au début de son Istoria d’Italia, place l’apogée de la prospérité de son pays : « Une paix et une tranquillité souveraines régnaient partout, dit-il. Cultivée non moins dans les endroits les plus montueux et les plus stériles que dans les plaines et les régions les plus fertiles, l’Italie, ne reconnaissant d’autre pouvoir que le sien et n’abondant pas seulement en habitans, en marchandises, en richesses, mais encore illustre au plus haut point par la magnificence de beaucoup de princes, par la splendeur d’une foule de cités illustres, par la majesté du siège de la religion, montrait avec orgueil, à la tête de l’administration publique, une foule d’hommes éminens dans toutes les sciences, et dans tout art ou industrie les talens les plus nobles; parmi tant de dons, elle n’ignorait pas non plus, selon les mœurs du temps, la gloire militaire ; aussi, riche de tant de qualités et de tant de dons, elle jouissait à juste titre, auprès de toutes les nations, du renom et de la réputation les plus brillans. » C’est dans des termes presque identiques que le chroniqueur milanais Corio célèbre les bienfaits de la paix et énumère les titres de gloire de ses maîtres, les Sforza : « Les pompes, les voluptés, dit-il, se donnaient libre carrière, et Jupiter, dispensateur de la paix, triomphait avec tant d’éclat, que toutes choses paraissaient aussi stables et aussi solides qu’elles l’avaient été à n’importe quel moment dans le passé. La cour de nos princes abondait en nouvelles modes, en nouveaux costumes, en délices... » Mais une nation n’a pas impunément ainsi la conscience de sa grandeur; du jour où, cessant de se défier de ses forces, elle croit aveuglément en son étoile, de ce jour elle commence à s’abandonner. La pauvre Italie, et avec elle Ludovic le More, Léonard de Vinci, et jusqu’au brave chroniqueur Corio, ne tardèrent pas à en faire la douloureuse expérience.

Avant d’étudier les chefs-d’œuvre que le génie de Léonard de Vinci enfanta à Milan et l’action qu’il exerça sur l’école milanaise, dont il est le fondateur, au même titre que Raphaël est celui de l’école romaine, il nous faut jeter un regard sur la cour des Sforza, les nouveaux protecteurs du peintre florentin, rechercher quels élémens ce milieu, à la fois jeune et suggestif, pouvait ajouter au fonds déjà si riche que le nouveau-venu apportait de Florence.

Le duché de Milan, alors comme aujourd’hui la plus riche des