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Lorsque ces rois perdaient des provinces, ils faisaient de leur mieux pour les regagner ; mais on ne les voyait pas déposer des couronnes devant les statues des villes qu’on leur avait prises. Ils n’allaient pas davantage se jeter à la tête des princes étrangers dont ils désiraient le concours. Ils avaient l’art de se faire offrir ce qu’ils ne voulaient pas demander. Ils témoignaient de la confiance à leurs ambassadeurs, et ne déchaînaient pas contre eux le Mercure ou la Gazette. Il leur arrivait bien de supporter trop longtemps un ministre incapable, mais cela valait encore mieux que d’en changer tous les six mois. Ils prêtaient une attention particulière aux affaires d’Orient, et, jusqu’à la révolution française, les conduisirent avec tant de suite et de sagesse, que les revers de nos armes sur le continent se faisaient à peine sentir dans la Méditerranée. Voudriez-vous donc justifier les attaques de ceux qui disent que toute diplomatie est inconciliable avec la démocratie ? Faut-il décourager tant de bons et fidèles serviteurs qui veulent travailler sans tapage à votre gloire ? Laisserez-vous la politique se faire, les alliances se nouer et se dénouer dans la rue, dans les gazettes, à l’hippodrome ou sur la place de la Concorde, partout ailleurs que dans votre chancellerie ? Je sais bien, Sire, que vous vous nommez légion, et que vous n’êtes pas responsable des écarts individuels. Cependant le patriotisme fait des merveilles : il confond tous les partis dans le même élan ; il inspire au pays les plus lourds sacrifices ; il arrache des votes unanimes à des chambres divisées. Pourquoi cette unanimité touchante ne se montrerait-elle pas toutes les lois qu’il s’agit, non-seulement de couvrir la frontière, mais de sauvegarder l’avenir et la dignité de la nation ? Les Anglais ne nous ont-ils pas donné cent fois l’exemple de cette consigne acceptée par tout un peuple, fût-ce la consigne du silence, lorsque leur gouvernement le juge nécessaire ? De même, chez vous, le mot d’ordre doit être imposé par l’ascendant irrésistible de l’opinion. — Alors, Sire, on vous fera en Orient de bonne politique qui ne sera point tantôt anglaise, tantôt russe et tantôt tout ce qu’on voudra, mais simplement française ; et cela suffit à notre ambition. »