Page:Revue des Deux Mondes - 1890 - tome 102.djvu/363

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

que j’étais mort en dormant et que j’étais un fantôme béni. » Cependant, l’orage gronde ; la foudre tombe en larges nappes; le vaisseau vole ; les matelots morts se sont levés : comme mus par un ressort invisible et surnaturel, ils manœuvrent les voiles. « Le corps du fils de mon frère se tenait près de moi et nos genoux se touchaient ; le corps et moi tirions sur la même corde ; mais il ne me disait rien. » En fait, tout cela n’est qu’illusion : une troupe d’esprits se joue de l’infortuné ; des chants d’oiseaux, des sons d’instrumens, le murmure d’un ruisseau, frappent ses oreilles; un esprit qui glisse dans la mer pousse le navire. Puis, tout à coup, le vaisseau bondit « comme un cheval qui piaffe » et le marin s’évanouit. Quand il sort de cette nouvelle torpeur, deux voix parlent près de lui : « Vole, mon frère, vole! plus haut, plus haut! » Cette fois, c’est « le pouvoir angélique » qui le protège : voici, là-bas, la terre natale, les rochers familiers, la baie silencieuse, le phare étincelant ; voici, au-devant du navire, des apparitions nouvelles :


A peu de distance de la proue, — étaient des ombres rouges ; — je tournai les yeux vers le pont : — Oh ! Christ ! que vis-je là ?

Chaque corps était étendu à plat et sans vie, — et, par la sainte croix ! — un homme lumineux, un séraphin, — se tenait sur chaque corps.

Cette troupe de séraphins agitait les mains; — C’était un céleste spectacle. — Chacun se tenait, comme pour faire des signaux à la terre, — dans sa lumineuse beauté... — Ils ne disaient rien, mais le silence entrait, — comme de la musique dans mon cœur!


Le supplice est fini, l’expiation a son terme. Le navire s’enfonce dans les flots. Une barque, sur laquelle se trouve un saint ermite, recueille le marin, qui, maintenant, s’en va contant son histoire aux jeunes gens : « garçon de noce! cette âme a été seule sur la vaste, vaste mer : et cette mer était si solitaire que Dieu même en semblait absent! » Mais aujourd’hui que l’âme a versé dans le sein d’autrui son terrible secret, la paix est revenue avec le pardon. Oh ! comme il fait bon vivre parmi les hommes ! aller tous ensemble à l’église avec « les jeunes gens et les joyeuses jeunes filles, » et se répéter que « celui-là prie le mieux, qui aime le mieux toutes les créatures! « 


He prayeth well, who loveth well
Both man, and bird, and beast !


C’est la morale de cette œuvre singulière, qui n’a qu’un défaut, à notre sens, — et c’est précisément d’avoir une morale. Car nous