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une grosse erreur de le croire. Si l’on peut sourire de la « Pantisocratie » comme système politique, on ne peut qu’être touché de la foi naïve qui inspirait ses fondateurs. Il ne faut pas craindre de dire que, si la poésie anglaise a été, au XIXe siècle, profondément humaine et soucieuse des plus hauts problèmes, si elle a produit Aurora Leigh, si un souffle de pitié vraie la pénètre toute, c’est au mouvement d’idées suscité par la révolution qu’elle le doit; — et c’est ce qui nous excuse d’y avoir insisté un moment. Politiquement, il est vrai que ceux qu’on a nommés plus tard les « lakistes, » c’est-à-dire Wordsworth, Southey et Coleridge, ne tardèrent pas à devenir des ennemis irréconciliables de cette révolution. Mais, en se détachant de la forme qu’elle avait prise, ils crurent rester fidèles à ce qu’il y avait de plus pur en elle. Ce qu’ils y avaient vu et ce qu’elle eût été peut-être en Angleterre, c’était avant tout un grand mouvement moral et religieux, une émancipation des volontés et un réveil des forces instinctives de l’âme. D’un mot, ils la voulaient chrétienne. Aujourd’hui qu’elle a porté ses fruits et que ces choses sont loin, nous voyons que les «philosophes,» tant en France qu’en Angleterre, ont été les grands ouvriers de cette œuvre, et nous identifions le mouvement révolutionnaire avec le mouvement philosophique. La démocratie est devenue, en effet, — ou elle a prétendu être, — une organisation scientifique de la société humaine. Or, les hommes comme Coleridge n’ont jamais cru ni à ce que nous nommons la science, ni à ce que le siècle précédent nommait la philosophie. Un soir, à table, le poète Keats se leva, le verre en main, pour maudire la mémoire de Newton, dont les découvertes avaient détruit la poésie de l’arc-en-ciel. Je ne sais si Coleridge eût porté, lui aussi, ce toast puéril, et, à vrai dire, j’en doute un peu. Il n’en est pas moins vrai que Coleridge penseur a été entièrement réfractaire à la notion de la science, et cela n’a pas laissé de retentir sur Coleridge poète. Tout ce qu’il y a chez lui d’esprit révolutionnaire est inséparable de ce qu’il y a d’esprit religieux. Il considère naïvement la Terreur comme le second acte du grand drame qui avait commencé sur le Golgotha. Il y voit la suite et le complément du christianisme, comme il voit en Robespierre un libérateur sublime de l’humanité. Ce qui lui manque par-dessus tout, — on ne saurait croire à quel point, si l’on n’a ouvert ses Propos de table, — c’est une vue un peu nette des choses et une ferme compréhension de la réalité. Cela dit, il s’intéressait passionnément aux questions sociales, et, en cela, il est le disciple fidèle des précurseurs de la poésie moderne, d’un William Cowper ou d’un George Crabbe. Quelle vie que celle de ce malheureux Cowper, âme