Page:Revue des Deux Mondes - 1890 - tome 102.djvu/344

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ne remonte pas au-delà du XVIe siècle. Le tout est entouré de hautes murailles, ce qui explique le choix qu’en fit un dey grand seigneur, Mohammed-Bey, pour en faire le plus magnifique des harems. Ce moderne Salomon, indépendamment de quatre épouses légitimes, — une de plus que ne le permet le Coran, — avait plusieurs centaines de femmes auxquelles il donnait des fêtes magnifiques, des concerts et des spectacles où le luxe tel qu’on l’entend en Orient déployait ses plus délicates merveilles. Dans la vaste salle où les houris terrestres recevaient leur seigneur et maître, — salle devenue le musée actuel, — ce n’était qu’oiseaux chantans, dorures, fontaines murmurantes et fleurs parfumées. Tout le trésor beylical y passa, mais ce qui ne passa pas, c’est le plafond splendide de cette salle, œuvre qui vaut plus à elle seule que le palais tout entier. Il forme une coupole qu’ornent des caissons dorés et du style arabe le plus exquis. Les riches plafonds égyptiens du Caire n’en donnent qu’une faible idée, quelque luxueux qu’ils soient. Quatre chambres carrées, appelées l’appartement des épouses, sont aussi très belles. Elles forment coupoles, et ces coupoles sont revêtues de plâtre découpé, comme ceux devant lesquels on s’extasie à l’Alhambra. C’est, comme dit M. de La Blanchère, « une synthèse du décor islamique : méandres, nœuds hindous, cœurs persans, palmettes égyptiennes, entrelacs syriens, rinceaux turcs, tout s’y trouve réuni dans une harmonie parfaite. » j’ai raconté que l’on trouve ce travail de dentelle dans la mosquée du Barbier à Kairouan. Des tapis d’Orient devaient recouvrir le parquet au temps du fastueux Mohammed ; ils sont remplacés aujourd’hui par une autre merveille, une mosaïque représentant le triomphe de Neptune, œuvre d’art postérieure aux premiers siècles de l’empire romain, antérieure aux Vandales et à l’invasion arabe. Cette mosaïque, qui ne mesure pas moins de 137 mètres carrés, provient de l’antique Hadrumète[1]. Elle fut découverte par le 4e régiment de tirailleurs algériens à la suite de travaux exécutés de 1886 à 1888. Autour du sujet principal, court une large bordure d’une exécution parfaite, bordure formée de feuillages, de fruits et de fleurs. La grande mosaïque que renferme ce gracieux encadrement est divisée en médaillons : trente-cinq ronds et vingt et un hexagonaux. L’ensemble fait un tableau unique : les déesses des ondes faisant escorte à Neptune. Elles sont nues et montées sur des monstres. Au centre est le dieu de la mer; il est sur un char attelé de quatre chevaux marins, la main étendue comme s’il commandait aux flots de s’apaiser.

  1. Voir les Collections du musée Alaoui, publiées sous la direction de M. de La Blanchère; Firmin-Didot, 1890.