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protectorat se préoccupât de l’exploitation de l’alfa, ainsi que l’administration française le fait en Algérie. Il me paraît que le reboisement du pays doit tout primer. Avec une Tunisie boisée, on obtiendrait sans doute ce que le colonel Roudaire cherchait en voulant transformer la région des chotts en mer intérieure, c’est-à-dire des pluies, et, avec elles la fertilité comme au beau temps de Pline. Il faudrait encore que l’administration se souvînt à tout instant que l’impôt dont sont frappés les arbres à fruits, les défrichemens qui en ont été la conséquence, que la dent dévastatrice des moutons et des chèvres, en perpétuant la destruction de la haute végétation, ont modifié le climat à un tel point que, là où il ne pleut pas avec abondance, règnent la stérilité et la désolation. La sécheresse en Tunisie a été et sera longtemps le fléau le plus redoutable de ce pays, c’est pour cela que rien ne doit être épargné pour le combattre.

Il y a pourtant en Tunisie de belles forêts, et ceux qui ont visité le pavillon où, à la dernière exposition, des spécimens de ses essences étaient classés, doivent en avoir gardé une impression favorable. Malheureusement, elles ne couvrent que les massifs de la Kroumirie, et leur action bienfaisante ne se fait guère sentir au loin.

D’après les observations météorologiques faites depuis quatre ans dans la régence, la direction des travaux publics nous apprend que la moyenne annuelle de pluie tombée à Aïn-Draham, village retiré au milieu des grands massifs de la Kroumirie, a été de 1,760 millimètres, tandis qu’elle n’a été que de 400 à 600 millimètres dans les autres stations situées dans la région montagneuse, mais dénudée, du centre. La situation géographique et la proximité de la mer ne suffisent pas à expliquer une différence aussi considérable, dont il faut voir une des causes principales dans le voisinage des forêts qui entourent l’Aïn-Draham. Il faudrait, pour rendre leur ancienne prospérité aux régions incultes, reconstituer le remarquable aménagement des eaux du territoire créé par les Romains, s’évertuer à rétablir le régime primitif des pluies, des sources et des rivières, et c’est pour atteindre ce but qu’il semble si urgent de reconstituer les anciens boisemens.

Le gouvernement français, dès l’année 1882, avait envoyé en Tunisie une mission forestière chargée de procéder à la reconnaissance des massifs. Elle y constata l’existence d’importantes forêts de chênes-liège dans la région de Ghordimaou et de boisemens de pins d’Alep dans la tribu des Riah, au sud de Tunis et aux environs du Kef. Une direction des forêts fut dès lors instituée et rattachée à la direction générale des travaux publics. Pour