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soulever la Tunisie ne furent pas plus heureux. Il ne convient pas aux Snoussya de prendre part aux compétitions européennes. En Égypte, lors de la révolte d’Arabi, celui-ci ne reçut d’eux aucune aide. Ce qu’ils conseillent surtout à leurs affiliés, c’est d’abandonner les pays où nous nous installons. Sur leurs instances, 200,000 Snoussya ou des Tunisiens, qui le devinrent par la suite, quittèrent la régence de Tunis dès que nous y eûmes établi notre protectorat. En 1885, le cheik des Snoussya, en compagnie d’autres chefs influens, proclamèrent la déchéance du khédive d’Égypte. Le khédive perdit aussitôt le Soudan, malgré l’assistance de l’Angleterre. Il n’a pu le reconquérir encore.

Le Cheik-el-Mahdi, à son tour, a disparu de ce monde, et s’il n’a pu remplir sa mission, disent les Arabes, c’est qu’il n’était pas le « maître de l’heure, » et qu’il n’avait sans doute pas, entre les deux épaules, le point noir des grands prophètes. Son successeur habite toujours à Djer-Boub, et de ce désert de la Cyrénaïque, son influence s’étend partout où il y a des croyans, et il y en a 200 millions dans le monde entier. Quel est le nombre des affidés à la confrérie du mahdi actuel ? On ne peut le dire, car, n’étant pas fermée, elle admet les adhérens de tous les autres ordres.

Lorsque vous rencontrerez sur votre route un Africain dont les bras seront tenus croisés sur la poitrine, le poignet gauche pris entre le pouce et l’index de la main droite, le chapelet non suspendu au cou, mais tenu à la main, soyez certain que vous avez un Snoussya devant vous,


XIII. — DE KAIROUAN A SOUSSE. — L’ALFA, LES FORÊTS, LES OASIS.

En parcourant la régence, sans omettre de visiter les excavations où, à l’époque des invasions, les habitans des villages berbères emmagasinaient les récoltes de la plaine, on se demande comment, sous la domination romaine, ce pays avait pu acquérir la réputation d’un grenier à blé. Et pourtant tout prouve que cette réputation était justifiée. Vous ne rencontreriez pas tant de vestiges de cités antiques de l’Enfida à Kairouan et de Kairouan à Sousse, si la Tunisie avait toujours été la terre désolée qu’elle était avant notre arrivée. Comme dans les premiers jours de votre voyage, c’est à peine si vous trouvez, en allant de Kairouan à Sousse, un lentisque, un jujubier sauvage à l’ombre desquels vous puissiez vous mettre à l’abri du soleil. Du reste, aucune mauvaise rencontre à craindre ; en tous lieux, une sécurité parfaite de nuit comme de jour. Il n’y a qu’une chose désagréable, c’est de voir surgir autour de vous, à l’heure du déjeuner, et dès que vous vous installez sur l’herbe fleurie, une troupe de chameaux, de chamelles et de chamelets ;