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celui du Mal ou du Bien. Tous deux venant de Dieu, vous n’avez pas de choix à faire.


Le clergé composé de muphtis et d’imans, c’est-à-dire le clergé officiel, chargé de l’entretien des mosquées et de rappeler, du haut des minarets, les fidèles à leurs devoirs, n’ayant aucune influence politique et religieuse, je n’en dirai mot. Le clergé indépendant, celui qui n’appartient à aucune confrérie et celui qui relève des confréries, sont les seuls dignes d’intérêt pour nous, car d’eux dépend la possession sans trouble de nos conquêtes en Afrique ou l’insurrection à main armée contre la domination étrangère. De l’un sortent les marabouts riches, les marabouts de grande famille, ou pauvres comme Job. La majorité de ces saints, ceux qui n’ont d’influence que dans leur entourage, habitent les zaouïas ou les monastères. Plusieurs d’entre eux, appartenant à la noblesse religieuse, ont reçu de l’autorité française des croix, des titres honorifiques dans le genre de ceux de nos officiers d’académie; ces faveurs n’ont point été sans effet sur la manière dont ils supportent aujourd’hui notre présence, combattue avec acharnement dans les premières années de l’occupation. De l’autre clergé, il y a beaucoup à dire, car il se compose de puissantes confréries ayant une influence énorme dans le monde musulman. Le sultan, qui craint ces associations, — et non sans raison, car elles lui reprochent l’abandon de l’île de Chypre et de l’Egypte aux Anglais, — s’est décidé à leur prêter son concours, autant qu’il lui est permis de le faire, entouré qu’il est de puissances qui lentement le dépouillent et convoitent son empire déjà fortement réduit. Il est loin d’ignorer que, grâce aux confréries, les mahdis du Soudan et les cheiks de Bagdad ont un pouvoir spirituel autrement grand que le sien. Il ne se passe pas en Europe un événement de quelque importance sans qu’elles en soient aussitôt informées. A Londres, à Paris, elles ont leurs espions qui, au jour le jour, les informent de ce qui s’y passe. À ce sujet, M. Marc Fournel cite un fait probant et d’une rigoureuse exactitude.

« Nous nous trouvions en visite, dit-il, chez le commandant d’un poste important de la Tunisie. Au cours de la conversation, nous lui demandions s’il avait reçu son courrier télégraphique et s’il s’était produit quelque mouvement important dans cette Europe dont nous étions si éloignés.

« — Je n’ai rien reçu, nous répondit-il, mais je suis sûr cependant qu’il ne s’est produit aucun événement grave.

« — Comment cela?

« — Parce que mon bureau d’informations, dont je viens de recevoir le rapport, ne me signale aucune agitation dans les