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et un si ambitieux espoir, quelles ne devaient pas être la constance et l’ardeur de sa foi ! Quelle satisfaction parfaite n’y devait-il pas rencontrer aux besoins et aux vœux les plus intimes de son être! Ah! combien, en dépit de ses tourmens, son sort pourrait tenter ceux qui, non moins affamés que lui de vérité, de justice et d’amour, désespèrent de s’en jamais rassasier; qui, sans soupirer après ces biens suprêmes, se contenteraient d’en jouir durant leur court passage ici-bas, dans la seule mesure que comportent la condition terrestre et la vie naturelle de l’homme (ni ange, ni bête), et qui sont condamnés par le progrès même et la sévérité de la science à ne pouvoir savourer aucune illusion consolante ! Et pourtant ceux-là, quelque séduisans que leur paraissent les avantages de sa croyance, n’osent la lui envier. Ils se demandent s’ils pourraient, sans déchoir, y revenir par une imaginaire abolition de leur doute anxieux, accepter, par exemple, de s’endormir et de rêver qu’ils croient. Ils sentent qu’ils perdraient quelque chose de leur qualité d’hommes, d’êtres pensans, en implorant de l’illusion la sécurité intellectuelle et morale, au lieu de l’acheter par une conquête patiente et laborieuse de la pensée sur l’inconnu. Ils sentiraient, comme Pascal, qu’il est impossible à l’homme de ne pas désirer le bonheur et y tendre, mais, non plus que Pascal, ils ne le concevraient possible pour l’homme hors de la dignité; c’est au nom de ses propres principes qu’ils préféreraient chercher encore, et il les approuverait. Ne dit-il pas, à propos de l’indifférence des incrédules : « Ce repos dans cette ignorance est une chose monstrueuse et dont il faut faire sentir l’extravagance et la stupidité à ceux qui y passent leur vie, en la leur représentant à eux-mêmes, pour les confondre par la vue de leur folie... » Malheureusement, la recherche n’aboutit pas aujourd’hui à la doctrine que lui dictait la foi sur l’origine et la destinée de l’univers et de l’homme. Son admirable sincérité eût été mise cruellement à l’épreuve, s’il eût pu connaître le dernier état des sciences actuelles. Au prix de quelle abdication ou de quelle torture son génie eût il maintenu la prédominance de la foi dans son âme? Il ne savait pas biaiser, il eût laissé à d’autres l’entreprise délicate de mouler sur les textes bibliques les théories astronomiques et géologiques et celle de la formation des espèces ; les démentis de la nature au dogme, en se multipliant, l’eussent peut-être, à la fin, rendu fou, à moins qu’ils ne l’eussent contraint à s’abêtir au-delà de ses plus fanatiques espérances. Mais cette tragique épreuve lui a été épargnée ; dans un temps où un esprit tel que le sien pouvait encore sans ridicule ni scandale suspendre son adhésion à la théorie du mouvement de la terre, il ne croyait pas rencontrer dans la