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a-t-elle décru dans l’imagination des peuples proportionnellement au progrès des sciences; le divin a été de plus en plus dégagé de ce que les superstitions y mêlaient. Mais, au regard de l’esprit, même de l’esprit le plus rigoureux et le plus froid, cette région n’est pas indéfiniment décroissante ; il y a dans le divin quelque chose d’irréductible aux sciences positives, un fond qu’elles ne peuvent s’assimiler et qui est le divin proprement dit. A supposer, en effet, que toutes les sciences positives, toutes les sciences spéciales, enfin reliées entre elles et unifiées, fussent parvenues à achever leur œuvre collective, le résultat final, formulé alors par une loi peut-être unique, n’en laisserait pas moins cette loi sans explication. Qu’est-ce, en effet, qu’une loi scientifique, sinon un fait général induit de faits particuliers que leur explication identifie, c’est-à-dire un fait encore, qui demeure problématique au même titre que tous les autres? Le divin entièrement éliminé de la physique universelle n’en serait que mieux désigné, il serait seulement rendu à lui-même, en un mot, devenu tout métaphysique. Or la métaphysique, ainsi définie, n’a pas besoin d’attendre l’achèvement du labeur scientifique pour légitimer son objet, puisque celui-ci est reconnu d’ores et déjà placé hors du domaine de la science positive et qu’il peut être défini tout de suite : ce qui manque à cette science, supposée achevée, pour satisfaire entièrement l’intelligence humaine. Pour celle-ci, le tout demeure inexpliqué, mais il serait, en outre, absurde s’il ne contenait rien qui pût exister sans le secours d’autre chose. Le divin proprement dit, celui qui subsiste après que la science, supposée achevée, l’a purgé de tous ses élémens idolâtriques et imaginaires, est précisément ce qui, dans le tout, existe par soi-même et contient l’explication entière du reste ; c’est donc le nécessaire, l’absolu, l’éternel, l’infini, le parfait, car toutes ces propriétés rentrent les unes dans les autres et dérivent de cette unique propriété d’exister par soi. Ainsi défini, le divin existe, puisque c’est la nécessité même de son existence qui en impose la définition, et l’esprit humain n’en ignore pas tout, puisqu’il ne peut se dispenser de lui attribuer la nécessité ; mais il n’en connaît rien de plus. Le cœur en pressent davantage : nous avons essayé, au cours d’une étude précédente, de découvrir dans le sens esthétique une fonction révélatrice d’un progrès vers un idéal divin, et nous avons, à cet égard, obtenu, sinon des certitudes, du moins des probabilités.

Si Pascal ne considérait que le divin proprement dit, il n’aurait donc personne à convertir et son fameux pari serait sans objet. Mais il l’appelle Dieu, et, par cela même, il substitue une définition de mot à une définition de chose, car ce qu’il met sous ce nom n’est pas identique à l’objet dont tous les esprits requièrent