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sée d’ardente reconnaissance qu’elle remercia Dieu de ce qu’il n’était pas trop tard.

Le prêtre était venu prendre la main du blessé. Celui-ci tressaillit à ce contact, tourna lentement la tête, hésita quelque temps, et, lorsqu’il eut reconnu l’ami et le confesseur, ses traits s’éclairèrent d’un sourire fugitif, tandis qu’il murmurait :

— Je sens que je suis sur le chemin de l’éternité, je n’attendais plus que vous, mon père, pour me signer mon passe-port pour là-haut.

Et sa tête roula de nouveau sur l’oreiller, les yeux mi-clos, vaincu par l’effort, et aussi afin de mieux se recueillir, en vue du grand acte qu’il allait accomplir : sa dernière confession.

Certes sa vie n’était pas d’un grand pécheur. Si sa nature ardente ne lui avait pas épargné les orages de la jeunesse, son mariage avait fait de lui un chrétien pratiquant, autant qu’un mari irréprochable. D’ailleurs, en se retirant volontairement du monde et en s’enfermant l’année entière à Vair, il semblait avoir désarmé le Malin, qui ne lui avait envoyé aucune tentation au fond de sa thébaïde bretonne.

Sa principale faute, — car c’en est une, — n’était qu’une funeste erreur. Les foudres du Sinaï résumaient à ses yeux l’action du Créateur sur les créatures ; il en arrivait à oublier le mvstère d’amour du Golgotha et, à force de ne considérer Dieu que dans sa justice, il en méconnaissait l’infinie miséricorde. Fausse conception de la divinité, fausse et désespérante ! En vain ce chrétien convaincu prononçait-il chaque jour la divine prière : Notre Père, le sens sublime lui en demeurait fermé. Âpres étaient ses croyances comme sa nature. L’on n’eût su trouver une foi plus robuste comme plus chargée d’obscurités, et il s’était fait une loi de s’y enfoncer dans une abdication de sa raison voisine de la torpeur. Or, voilà qu’à l’heure suprême il restait terrassé par la crainte, au lieu d’être soulevé par l’amour, affreuse angoisse quand s’approche cette terrible transition du temps dans l’éternité.

Une telle souffrance d’âme ne pouvait échapper à la clairvoyance du père Jugand, d’autant que cette âme il la connaissait dans ses moindres replis et depuis bien longtemps. Il savait comment la relever de son abattement, la consoler, lui souffler l’espérance. Et, en même temps, devant ce comte violent, autoritaire, que l’idée seule d’affronter le souverain Juge faisait humble et craintif comme un enfant, il admirait cette religion dont il était l’apôtre et quelle puissante empreinte elle met sur les siens.

Mais avant de rendre au père la paix et la confiance nécessaires au dernier sommeil, il se rappela qu’il venait de recevoir en