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REVUE DES DEUX MONDES.

— Eh bien ! moi, je vous dis que, devant un outrage, il n’y a pas d’explication, car ce que la folie vous inspire est une insulte au nom que vous portez et dont, comme chef, j’ai la garde !..

La colère du comte de Vair, en prononçant ces mots, avait fait explosion. Son fils non plus ne contenait plus la sienne.

— Je ne sais dans quel code d’honneur, reprit âprement celui-ci, vous avez vu, mon père, que l’alliance d’une jeune fille belle, pure et bien élevée fût un outrage pour une famille ; en tout cas, je ne l’ai pas trouvé dans celui des officiers français, le seul dont j’ai souci.

— S’il vous suffit d’avoir de l’honneur comme le fils de votre bottier, vous pouvez passer au large, nous ne nous entendrons pas !

— Quand il est ennobli par l’épaulette que je porte, riposta le jeune capitaine, ce qui lui suffit me suffit. — Et, comme le comte de Vair faisait un mouvement pour sortir, le jeune homme, se tournant vers sa mère, continua à mots pressés, heurtés, comme s’il refoulait un sanglot qui déchirait sa gorge :

— Écoutez, ma mère, ne laissez pas partir mon père avant qu’il m’ait donné les raisons de son refus au consentement que j’implore. Notre entretien ne peut ni continuer sur ce ton, ni sur ce terrain. Il y a, certes, de nombreuses divergences d’idées entre lui et moi, comment s’en étonner ? Nous sommes d’un temps différent et nous n’avons pas vécu de même. Mais la loyauté est égale des deux parts et, au fond, le désir d’entente aussi. Pourquoi choisir ce moment pour nous reprocher ces divergences dont nous ne sommes pas les maîtres, au lieu de traiter sérieusement le sujet très sérieux qui m’a amené près de vous ? En connaissez-vous un plus grave que le bonheur de votre enfant, et, quand pour l’assurer, il vient vous demander en grâce de faire une concession à des traditions respectables assurément, mais non inviolables, le sacrifierez-vous, lui, ce fils de votre chair et de votre sang, à une fiction qui n’est même pas votre œuvre, à une simple prétention héraldique ?

— Vous ne sentez plus comme nous, interrompit Mme  de Vair, c’est là le grand malheur, car, c’est en vous éloignant du sentiment de vos parens qui était celui de vos ancêtres, de tout ce passé de gentilshommes, que vous en êtes arrivé à regarder comme naturel d’épouser une fille de marchand qui n’a pas peut-être trois générations de bourgeoisie derrière elle, et qui courrait les rues, à coup sur, si les siens n’avaient pas profité de ces idées nouvelles et révolutionnaires qui sont le déshonneur de notre malheureux pays.

— Savez-vous, ma mère, s’écria Jean avec emportement, ce qui est révolutionnaire et haïssable à vos yeux ? Ce n’est pas le com-