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qui a eu la chance d’attacher son nom à des victoires prodigieuses et peut-être inespérées.

Quel sera en définitive le rang de M. de Moltke parmi les hommes de guerre ? Ce serait pour le moment une chose assez oiseuse de tracer des parallèles, de chercher des ressemblances ou des différences. Il a réussi, — et il est certain qu’il n’a dû une partie de ses succès qu’à une série de circonstances inouïes, qu’il eût été peut-être moins heureux s’il avait trouvé devant lui une défense mieux préparée ou quelque chef assez hardi pour déconcerter ne fût-ce qu’un instant ses combinaisons. Lui-même il a dit un mot aussi modeste que profond en répondant, un jour où il recevait des complimens sur ses succès, qu’il ne fallait pas s’enorgueillir, qu’on n’avait pas vu encore l’armée allemande sous le coup d’une défaite, que c’était là l’épreuve décisive. — Dans tous les cas, il reste assurément un des plus puissans organisateurs d’armée, un administrateur aussi habile que méthodique, un calculateur patient, et c’est par là qu’il a préparé les agrandissemens de la Prusse, la formation de l’empire nouveau d’Allemagne. C’est là certainement ce que l’empereur Guillaume a voulu relever en entourant d’honneurs le vieux maréchal ; c’est là aussi ce que les Allemands ont vu dans ces fêtes. Ce qu’il y a de curieux, c’est que parmi ces princes, ces chefs militaires, ces ministres, ces habits brodés réunis à Berlin, il n’y avait qu’un absent, et cet absent était justement celui qui aurait semblé devoir être le premier auprès du vieux maréchal. M, de Bismarck n’a pas été invité, ou s’il a été invité, il ne s’est pas rendu à Berlin : sa place est restée vide dans une fête de l’empire ! On conviendra bien cependant que, si M. de Moltke a été un habile organisateur, s’il a façonné une armée pour des guerres depuis longtemps méditées, M. de Bismarck lui a préparé la voie et par sa diplomatie a plus fait pour l’empire que les chefs militaires eux-mêmes. Telle est la fortune des cours ! Aujourd’hui, M. de Moltke est entouré, fêté, comblé d’honneurs ; M. de Bismarck vit retiré dans la disgrâce, morose, déjà presque oublié. C’est la philosophie des nouveaux règnes qui, en llattant toujours l’armée dont ils ont besoin, se passent fort bien des conseillers devenus gênans pour leur orgueil, pour leur liberté, pour la politique qu’ils se promettent d’inaugurer.

Le fait est qu’on ne voit pas bien où en est, où va cette politique nouvelle si bruyamment engagée par les voyages impériaux et par les rescrits socialistes du printemps dernier. On le voit d’autant moins que, si le gouvernement ne paraît pas avoir des idées bien nettes, un plan bien arrêté, les socialistes, profitant de la liberté que leur laisse la disparition récente des lois de répression, recommencent à s’agiter, à se réunir, à concerter leurs programmes et leur action. Les socialistes viennent de tenir à Halle un congrès qui, au premier abord, semblait