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ture, ni par ses idées, ni par la libéralité de ses mœurs, il n’était l’homme du moment. Il entrait, dès lors, pour un temps dans cette phase ingrate à laquelle n’échappent pas les plus grandes renommées. On semblait oublier que ce mort de la veille avait eu comme poète, comme orateur, comme chef de révolution, ses heures de règne par le génie en France. Les Méditations, les Harmonies, Jocelyn, l’Histoire des Girondins, l’Histoire de la Restauration, les Entretiens, l’éloquence prodiguée au courant d’une prodigieuse carrière, qu’était-ce que tout cela dans l’ère nouvelle ? C’est tout au plus si cette mémoire, objet d’un pieux culte domestique, restait sous la garde de quelques contemporains fidèles, — et comme, en ce temps-ci, tout se traduit par des chiffres, on disait même que les œuvres de Lamartine ne se vendaient plus. Ce n’était qu’un oubli d’un moment, l’affaire de quelques années. La réaction favorable n’a pas tardé avenir pour cet heureux génie ; depuis quelque temps déjà, elle est pour ainsi dire dans l’air, et ce centenaire de Mâcon, célébré avec une sorte de spontanéité, semble n’être qu’une occasion ou un signe de plus de ce réveil de popularité pour Lamartine. Il s’est trouvé que ces cérémonies mâconnaises ont été à la fois une fête de famille et une fête nationale. Et, comme pour mieux en marquer le caractère, tous les dissentimens ont à peu près fait silence ; tout le monde a voulu s’associer à ces fêtes, et les municipalités et les sociétés littéraires locales, et l’Académie française, représentée par M. Jules Simon, qui a charmé ses auditeurs par son éloquence, et le gouvernement, représenté par M. le ministre de l’instruction publique, qui a su parler avec tact, et l’Église elle-même, représentée par M. l’évêque d’Autun, qui s’est si heureusement inspiré de ce vers du poète :


O Dieu de mon berceau, sois le dieu de ma tombe !


Un siècle après sa naissance, vingt ans après sa mort, Lamartine revit dans ces fêtes, dans ces discours, dans ces hommages, dans cette commémoration due à son génie.

C’est qu’en effet, par la séduisante puissance de sa nature et de ses dons, Lamartine est au-dessus de toutes les contestations et des caprices éphémères de la popularité. Depuis le jour où il est apparu pour la première fois, du soir au lendemain, comme le créateur d’une poésie, il n’a pas cessé d’être l’enchanteur de son siècle, un enchanteur sans effort, sans laborieux artifice. Il n’a pas été seulement un poète, il a été la poésie vivante. Il a eu en lui-même une source inépuisable d’inspiration, d’images, d’harmonie, d’émotion et de tendresse. Il a donné à tous ces paysages d’Italie, des lacs, des montagnes, de son pays natal qu’il a dépeints, des couleurs ineffaçables, comme il a