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REVUE DRAMATIQUE

Le Député Leveau, comédie en quatre actes, en prose, de M. Jules Lemaître.

On l’a dit plus d’une fois: quiconque a un peu lu, un peu vécu, et un peu retenu, n’a pas besoin de connaître le métier d’auteur pour être capable d’un bon roman ou d’un drame émouvant. Mais, de redoubler, et, après Indiana d’écrire Valentine, ou le Demi-Monde après la Dame aux Camélias, voilà qui passe l’effort d’un amateur ou d’un dilettante, et voilà ce qui n’appartient qu’à ceux qui sont nés romanciers ou auteurs dramatiques. Aussi attendions-nous, avec une vive curiosité, tempérée d’un peu d’inquiétude, le second début de M. Lemaître au théâtre. Les mérites assez rares que nous avions jadis cru voir dans Révoltée , allions-nous les retrouver dans le Député Leveau? ou la seconde épreuve allait-elle annuler la première; et la partie décisive serait-elle à recommencer? Nous craignons pour le moins qu’elle ne soit pas encore gagnée.

Non que les qualités manquent dans ces quatre actes; et d’abord on y retrouve dans le dialogue presque tout ce que le style de M. Lemaître a d’habituelle agilité, de singulière souplesse, et d’ingénieuse malice. Un ou deux caractères, bien vus, sont d’ailleurs assez habilement rendus, dans toutes-leurs nuances, sans en excepter celle du léger ridicule qui se mêle, hélas! pour un observateur ironique ou seulement impartial, à ce qu’il y a de plus sincère dans l’expression de nos sentimens les plus forts. Rien de plus original, à cet égard, que certaines parties du caractère de Mme Leveau, si toutefois il ressemblait moins à celui de Mme Guérin. J’ajouterais volontiers que cette mère fait à sa fille d’étranges confidences. Mais enfin elle vit, elle est réelle, elle est vraie. M. Lemaître, qui fait profession d’ironie, semble devoir excellera peindre un jour ce qu’il y a si souvent, sous la rudesse et sous l’insignifiance de la première enveloppe, au fond du cœur des humbles, d’humaine vérité, de sensibilité délicate, de noblesse réelle. Et il y réussira, quand il sera moins hanté de la puérile préoccupation d’être « parisien, » ou quand il aura découvert qu’un certain « sentimentalisme » est ce qu’il y a de plus parisien.