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a de plus impulsif, et peut-être, et conséquemment, de plus paresseux en nous? Agir, c’est lutter, et lutter c’est avant tout se combattre soi-même. L’optimisme raisonne comme s’il nous était facile d’être justes et charitables; et il ne s’aperçoit pas que ce qui rend la justice et la charité si rares parmi les hommes, ce sont au contraire les sacrifices qu’elles coûtent. « Nous ne les admirons pas dans les bagatelles, » comme dit Schopenhauer : personne n’a jamais trouvé qu’il y eût rien de « noble » à danser pour les pauvres, par exemple, ni qu’on méritât un renom d’intégrité pour n’avoir pas fraudé la douane. Mais la perpétuelle et constante attention de ne rien faire que l’on ne doive faire, voilà qui est déjà plus difficile ; et, ce qui l’est sans doute plus encore, c’est de prendre sur ses épaules un peu du fardeau des misères des autres. Voilà sans doute aussi des vertus vraiment actives, et c’est ce que l’optimisme n’aperçoit pas non plus. La « négation du vouloir-vivre » n’est, en réalité, que le terme idéal vers lequel tend, sans jamais y atteindre, la morale du pessimisme; mais, en le proposant à l’homme, elle développe en lui tout ce qu’il y a de ressorts et d’énergies pour l’action. Non-seulement il n’y en a pas de plus haute, parce qu’il n’y en a pas qui soit plus détachée de toute considération égoïste; mais il n’y en a pas de plus propre à tremper les caractères, parce qu’il n’y en a pas qui exige de nous un plus grand effort sur nous-mêmes. Et les optimistes peuvent se rassurer : cet anéantissement de la volonté qu’ils affectent de confondre avec son inaction ne s’obtient au contraire que par son exercice, à peu près de la même manière et pour les mêmes raisons qu’on a toujours vu, dans l’histoire, ceux qui croient le moins à leur libre arbitre, — stoïciens dans l’antiquité, calvinistes au XVIe siècle ou jansénistes au XVIIe, — être pourtant ceux de tous les hommes qui ont le plus étroitement soumis à l’empire de la raison les impressions de leurs sens, les suggestions de leurs instincts, et le tumulte de leurs passions.

Avons-nous besoin d’ajouter maintenant que, dans ce très rapide examen des conséquences du pessimisme, il est plus d’un point qu’on s’apercevra bien que nous avons dû négliger? Et, en effet, il nous suffirait d’avoir pu mettre ici le plus important en lumière. Si peut-être on l’a reconnu, nous le définirons d’un seul mot, — qui ne sonnera pas mal aux oreilles de nos contemporains, — en disant que ce qu’il y avait de plus élevé, mais surtout de plus difficile à faire admettre aux hommes dans la morale du bouddhisme ou du christianisme, la gloire de l’auteur du Monde comme volonté et comme représentation est de l’avoir proprement et véritablement laïcisé. Bien loin d’être inouïes, ses conclusions ne sont pas nouvelles, ce qui, sans doute, est une preuve de leur solidité, mais il y est arrivé par des chemins tout nouveaux, qu’il s’est frayés tout seul, et c’est sa grande originalité. L’enseignement