Page:Revue des Deux Mondes - 1890 - tome 102.djvu/181

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

stagnation de nos études classiques, quelque chose vit et fructifie, allons du côté où il y a encore quelque ardeur, quelque fécondité, quelque influence directrice.

On a essayé des réformes successives de l’enseignement secondaire : d’abord une réforme dans le sens des sciences, — et on n’a eu que des mécomptes ; puis une réforme dans le sens historique et philologique, nouveaux mécomptes ; enfin une réforme dans le sens industriel et professionnel, — mécompte plus grand encore. Une seule ressource reste : la réforme dans le sens philosophique ; c’est-à-dire la coordination commune des sciences et des lettres par rapport aux études psychologiques, morales et sociales, principes des vraies humanités. Cette orientation philosophique s’impose aujourd’hui avec une nécessité absolue ; que les hommes de science, que les littérateurs, les historiens et les géographes en prennent leur parti : ni les uns, ni les autres ne sont capables, par leurs études particulières, de fournir une base à l’éducation de l’homme moderne. Si le fondement religieux s’ébranle, sachons bien qu’il n’y a absolument qu’un moyen, un seul, d’y suppléer : c’est le culte des sciences morales et sociales, le culte de la philosophie, surtout d’une philosophie à la fois positive et idéaliste. Compter sur les sciences pures ou sur les lettres pures pour remplacer les antiques croyances, c’est se leurrer. La philosophie même et la sociologie auront fort à faire pour lutter contre le réalisme et l’utilitarisme grandissans. Le jour approche, prétend-on, où il ne restera plus guère en France d’autres prêtres que les poètes (s’ils comprenaient leur mission) et les philosophes ; quels derniers soutiens aura alors notre grandeur nationale, sinon le sentiment du beau, développé par la poésie et par les arts, et le sentiment du bien, développé par la connaissance des lois morales et sociales ? Quoi qu’il en soit de ces pronostics, une chose est dès à présent certaine : c’est qu’il faut compenser l’évidente diminution des croyances religieuses dans notre pays par la culture croissante du sens esthétique, du sens moral et social. L’éducation, de moins en moins théologique en France, sera philosophique ou ne sera pas.


ALFRED FOUILLEE.