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fera croire que tout, en France et dans le monde, peut être changé du jour au lendemain. Il n’a l’idée ni du progrès historique ni de la continuité historique. Les sectaires qui font commencer l’histoire de France à la révolution française, par exemple, sont ou des ignorans de l’histoire ou des faussaires de l’histoire. Le malheur est que rien ne se fausse aussi facilement. Aussi y a-t-il beaucoup à rabattre sur la « moralité de l’histoire, » telle qu’on l’enseigne aujourd’hui, tout comme sur la moralité de la nature. M. Lavisse le confesse lui-même dans son rapport enthousiaste sur l’enseignement historique (qu’il substituerait avec empressement, semble-t-il, à l’enseignement de la philosophie). Il n’est pas vrai, avoue M. Lavisse, que les justes soient toujours récompensés et les méchans toujours punis : « le mensonge et la violence procurent parfois des succès dont la valeur pratique n’est pas diminuée par l’immoralité des moyens. » Il n’est pas vrai non plus que les destinées des peuples soient expliquées et justifiées uniquement par leurs vertus et leurs vices : « il entre dans la fortune et la force d’une nation d’autres élémens. » Trop souvent, dans l’histoire, « les fautes sont plus que des crimes, » et elles ne sont expiées « ni par les hommes, ni par les générations qui les ont commises. » D’après cela, si la morale est dans l’histoire, elle y est incognito, pourrait-on dire en parodiant un mot célèbre. Malgré ces prémisses, où l’histoire est représentée sous des traits qui rappellent fort la lutte pour la vie dans la nature, c’est au professeur d’histoire que M. Lavisse veut confier l’instruction civique et même morale. Quant au professeur de philosophie, il semble qu’il le renverrait volontiers aux universités. Que l’historien soit un moraliste, rien en effet de plus désirable ; mais de quelle manière fera-t-on pénétrer la moralité dans l’histoire ? Voilà la question. « Il n’y a point de panégyristes, répond M. Lavisse, pour des coquins avérés. » Est-ce bien sûr, s’ils ont réussi ? « Le professeur d’histoire s’arrêtera devant les honnêtes gens, quand il en rencontrera. » — Cette restriction est inquiétante. À vrai dire, ce qu’il y a de plus beau et de plus moral dans l’histoire, c’est encore la légende : — le chevalier d’Assas qui devient le sergent Dubois, — le mot de Cambronne : « La garde meurt, » etc. Si l’enseignement des lettres et des sciences, continue l’éminent historien, forme l’honnête homme cultivé, c’est « l’enseignement de l’histoire qui doit préparer l’écolier à la vie pour une date précise et des conditions déterminées. » Et M. Lavisse lui-même a mis en pratique cette méthode dans les livres si remarquables qu’il a publiés pour les écoles primaires. « Nos désastres, dit-il aux enfans, nous apprennent qu’il ne faut pas aimer ceux qui nous haïssent, qu’il faut aimer avant tout et par-dessus tout la France notre patrie, et l’humanité