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de notre race, au lieu d’attribuer aux défauts de notre race ceux de nos discours latins. On a aussi trouvé vieillie l’ancienne critique littéraire et, sous l’influence de M. Michel Bréal, on lui a substitué de la philologie et de l’histoire. Aux enfans de quatrième on raconte les transformations de l’accent tonique dans les mots d’origine populaire, l’histoire des mots tirés du latin par les savans ou celle des « doublets. » Qui connaît les doublets, hormis quelques philologues, et qui a besoin de les connaître ? La philologie et l’érudition historique sont les deux grandes ennemies de l’instruction. Aux jeunes gens de seconde, on énumère des écrivains du dernier ordre ; on se perd dans les origines de notre littérature et dans les ébauches par où son enfance a débuté. Sous prétexte d’éviter le dogmatisme dans les cours de littérature, on emplit les têtes, comme pour en faire des catalogues vivans, de noms d’auteurs et de noms d’ouvrages, — depuis Pierre Leroy, Gillet, Chrétien Pillon, jusqu’à Raquin, du Bellay, Baïf, Jodelle, etc.

Pour nous, nous voudrions que l’enseignement des lettres aboutît, non à cet inventaire historique, ni à ces vaines curiosités philologiques, mais à une doctrine de l’art et de la littérature ; que les études littéraires fussent une esthétique à la fois sentie, raisonnée et appliquée. Comment les jeunes gens s’intéresseront-ils aux œuvres des grands écrivains, même replacées en leur milieu historique, s’il leur manque des idées directrices et, pour dire le mot, des principes, — soit esthétiques, soit moraux et sociaux, — qui animent chaque lecture, lui donnent un but et une signification ? Or, tout ce qui ressemble à une doctrine quelconque, nous ne disons pas dogmatique, mais libre, ouverte, conjecturale même, on l’a banni de l’enseignement. Là serait cependant, selon nous, le vrai et seul « centre de gravité ; » avoir des idées, avoir une opinion littéraire, une croyance morale et sociale, une vue générale de la nature et de ses grandes lois, puis, avec ces idées directrices, coordonner toutes les autres idées, coordonner les faits de la science, de l’histoire, de l’art ; introduire du même coup l’ordre et un sens dans les explications d’auteurs ; enfin et surtout s’exercer soi-même à exprimer des idées et des sentimens, à composer de petites œuvres de goût ou de raisonnement, mettre ainsi ses pensées en action et en forme, sous le contrôle perpétuel des modèles classiques : voilà qui ferait la vie de l’enseignement secondaire, où, aujourd’hui, ce ne sont pas seulement les langues qui sont mortes, mais les idées et les sentimens. Les maîtres eux-mêmes n’ayant pas d’idées, comment les élèves on auraient-ils ?

Si le professeur de philosophie, ou, à son défaut, celui même de littérature après avoir reçu une meilleure instruction philosophique.