Page:Revue des Deux Mondes - 1890 - tome 102.djvu/163

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

seul, et alors comment le soustraire à toutes les idées qui sont traditionnelles de génération en génération dans la patrie commune ? Chacun doit consentir à ce que ses enfans, s’il confie à l’état le soin de les élever, subissent l’influence générale. Quant à ceux qui peuvent les élever eux-mêmes, qu’ils les instruisent selon leur conscience, mais qu’ils reconnaissent qu’en somme ils ne font que substituer ainsi une influence à une autre.

Si l’État voulait abandonner toute direction sous prétexte de sauvegarder exclusivement « l’opinion des pères de famille, » ainsi érigée en dogme, il faudrait alors proscrire des écoles tout enseignement de la morale quel qu’il fût ; ne pas blâmer le suicide devant les enfans, car leur père peut être partisan du suicide ; ne pas blâmer les unions libres, car leur père peut être partisan des unions libres ; ne pas enseigner le respect de la propriété, car leur père peut être ennemi de la propriété ; ne pas parler d’ordre public, de loi et de constitution, car leur père peut être anarchiste. Effacez même dans les écoles le nom de patrie et supprimez-y le drapeau français, car il y a des socialistes pour qui les drapeaux ne sont que des illusions diversement colorées, pour qui la patrie est un reste d’idolâtrie religieuse, une entité métaphysique, contraire aux idées humanitaires ; il est des socialistes pour qui il n’y a ni Français ni Allemands, mais seulement des prolétaires d’un côté et, de l’autre, des capitalistes, qui sont les ennemis. La patrie, pour un sceptique désabusé, est un mot aussi suspect d’idéologie que celui de Dieu, et il est certain que, si l’on a commis des crimes au nom de Dieu, on en a commis aussi au nom de la patrie.


Selon nous, le meilleur moyen d’agir sur la moralité des enfans ou des jeunes gens, et cela en dehors des opinions religieuses, — ce serait précisément de leur présenter la morale sous un aspect civique et patriotique. D’après les rapports des instituteurs et inspecteurs sur les résultats de l’enseignement moral dans les écoles, ce sont les idées et sentimens de patriotisme qui ont fait au cœur de la jeunesse les plus remarquables progrès. Aujourd’hui, paraît-il, on a plutôt besoin de modérer que d’exciter chez les enfans de nos écoles l’enthousiasme national. Dans les lycées et collèges, la discipline intérieure et l’éducation morale pourraient être présentées comme des formes essentielles de civisme et, sous cet aspect nouveau, elles seraient acceptées de tous. Il faudrait montrer dans la vie du lycée l’apprentissage de la vie nationale, dans le respect de la règle, l’initiation au respect de la loi nationale et la préparation à la discipline militaire ; il faudrait dire à ces enfans que la France a besoin de générations qui sachent, non par soumission aveugle, mais par soumission volontaire, obéir à une