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des mœurs proprement dite et la science de la société. En second lieu doit venir ce que nous avons appelé ici même l’esthétique des mœurs, c’est-à-dire la considération du bien sous l’aspect de la beauté, non plus seulement de l’utilité et de la nécessité sociale. Enfin, cette étude doit s’achever, dans la classe de philosophie, par la métaphysique des mœurs, qui recherche le dernier fondement du bien dans les rapports de l’homme avec l’univers et avec le principe, quel qu’il soit, de l’évolution universelle, il y a donc en somme, dans le bien moral, une utilité privée et publique, une beauté esthétique, une rationalité philosophique, qui peuvent être objets de transmission à autrui : en ce sens, comme disait Socrate, « la vertu peut s’enseigner. » Est-ce qu’un enfant sera aussi porté à l’égoïsme quand vous lui aurez démontré tout ce que sa famille, tout ce que sa patrie, la société entière, lui ont donné, lui donnent encore à chaque instant, et tout ce qu’il leur doit en retour ? quand il aura acquis la notion claire et le vif sentiment de la solidarité nationale et de la solidarité internationale, quand il aura en même temps approfondi l’idée de la personne humaine et de sa dignité propre ? Puisque toute idée est une force, — surtout en France, — l’idée de ce qu’il y a de mieux à faire aura évidemment une force de réalisation supérieure. L’idéal, par cela même qu’il se conçoit, se réalise déjà dans notre pensée. À coup sûr, on n’est pas certain pour cela qu’il se réalisera dans nos actes, parce que d’autres idées et surtout d’autres sentimens ou tendances peuvent entrer en lutte avec lui ; mais, plus l’idée du meilleur sera claire et précise, plus elle aura de chances de victoire dans le conflit intérieur. L’autosuggestion de l’idée est un des facteurs essentiels de la résolution finale. Les facteurs inconsciens, dont l’ensemble constitue le caractère, ont sans doute une grande importance, et on pourrait dire que la volition est en raison composée : 1o des facteurs inconsciens ; 2o des facteurs consciens ; 3o des circonstances actuelles. Mais la conscience réagit sur les forces inconscientes qui agissent en nous ; elle les juge et, en les jugeant, les modifie. L’intelligence n’est pas une sorte de tribunal extérieur à nous et ayant besoin, pour exécuter ses arrêts, de faire appel à une force étrangère ; se juger soi-même, c’est déjà se récompenser ou se punir, c’est aussi commencer l’amendement de son propre caractère : il n’y a plus qu’à appuyer dans le bon sens pour que certains traits du visage moral deviennent plus saillans, tandis que les autres rentreront dans l’ombre. L’intelligence, comme toutes nos facultés, aspire à sa propre satisfaction, et, si elle n’y parvient pas, nous éprouvons un sentiment de discorde intérieure qui peut aller jusqu’au déchirement. Or l’intelligence a un caractère d’universalité et d’impersonnalité ; elle voit les choses sous un aspect général, désintéressé,