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dans le système actuel, c’est la sanction finale du baccalauréat, la perspective du salut ou de la damnation classique ; — pauvre mobile pour de jeunes intelligences, mobile d’autant plus incertain qu’on peut toujours être sauvé par un coup de la grâce, je veux dire du hasard. Nos enfans travaillent ainsi, — ou ne travaillent pas, — pendant huit ou neuf années, ne songeant qu’à la délivrance, parce qu’ils ont affaire non à des éducateurs, mais à des « professeurs » dont chacun ne connaît que sa spécialité. Le collège, c’est une juxtaposition de spécialités.

Nous avons déjà dit et répété que la prééminence appartient, en toutes choses, à ceux qui savent organiser et, dans l’organisme une fois construit, mettre une âme. Or, pour l’éducation littéraire, l’unité organisatrice ne peut venir des sciences positives, — mathématiques ou physiques, — qui sont trop éloignées des lettres et de l’art. Elle ne peut venir de l’enseignement littéraire lui-même, qui, sans idées directrices et formatrices, ressemble à un polype sans cerveau. Cherchons donc si elle ne devrait pas venir des sciences qui étudient l’homme et la société humaine, et déterminons la part que doivent avoir dans l’éducation les études morales et sociales. On parle sans cesse d’approprier l’enseignement aux besoins des sociétés modernes ; si l’enseignement classique ne veut pas, sous ce rapport, paraître inférieur à l’enseignement spécial, s’il ne veut pas préparer lui-même le triomphe de son rival sous le nom d’enseignement français, il doit, lui aussi, faire une part à ces études morales et sociales, économiques et juridiques, qui contribueront à rendre l’éducation plus pratique et plus moderne, tout en augmentant encore sa valeur spéculative et éducative.


I.

Dans l’antiquité, on avait « beaucoup d’idées pour peu de choses, » tandis que nous, modernes, nous avons, pour trop de choses, trop peu d’idées. La relation est renversée. Le sujet pensant est débordé par les objets, au lieu de les enserrer. Les anciens avaient l’habitude de la concentration, de la systématisation, de la synthèse : l’analyse nous morcelle et nous dissémine. À mesure que notre horizon devient plus large, il faut monter plus haut pour le dominer, l’augmentation sans fin du nombre des connaissances scientifiques, historiques et littéraires, rend donc nécessaire une plus forte culture philosophique. C’est là une loi, et une loi d’évolution mentale, à laquelle l’enseignement moderne ne saurait se soustraire. Les études classiques ne peuvent subsister qu’en s’élevant, et en prenant pour centre de perspective l’idée morale et sociale.