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s’en scandalisaient, il osait répondre : « Que ce serait donner sujet de calomnier Jésus-Christ que les pharisiens prenaient à tâche de rendre souvent suspect, épiant ses actions et les interprétant mal, l’appelant ami des femmes pécheresses dont, en effet, il en eut plusieurs qui le suivirent. »

La petite troupe d’Anna Schurmann, accueillie à Herford et nourrie pendant plus d’un an par Élisabeth, formait très évidemment une secte affranchie de toute règle. Étant arrivées à Wesel en bateau pour y prendre les commodités et les voitures nécessaires pour leur voyage à Herford, elles ne voulurent pas laisser passer le jour de leur arrivée sans exercices prophétiques qu’elles commencèrent, assez mal à propos, à onze heures du soir, où se trouvèrent d’autres dames de la ville et quelques bourgeois. Mais ce qui est le plus remarquable, c’est que dans ce conventicule, une très sage demoiselle (Anna), que l’on a crue de tout temps exempte de ces petites faiblesses qui transportent si ridiculement toutes les autres petites emportées, prit l’encensoir à la main et officia pastoralement parmi ce petit troupeau.

Labadie, condamné par les synodes à Dordrecht, à Middelbourg, à Flessingue, à Walcheren, à Amsterdam, à Heusden et à Naarden. n’avait fait appel qu’à lui-même. Si le mot a un sens dans l’église réformée, il était notoirement hérétique. Un portrait exposé dans sa chambre montrait une colombe au-dessus de sa tête, et au bas de la toile, ces paroles orgueilleuses :


L’esprit du Seigneur éternel est en moi.


L’abbesse d’Herford avait souci des mœurs, non de la doctrine. Elle a vu de près le petit troupeau et le déclare irréprochable. Pourquoi refuser de la croire ? Élisabeth, menacée d’une émeute contre des hôtes de si mauvaise renommée, écrivait au prince électeur du Hanovre, son beau-frère : « Par une lettre du 6 septembre 1670, vous avez déclaré que vous favoriseriez mon projet et nous accorderiez notre demande, si toutefois les sectateurs se montraient conformes aux réformés et à leur culte et ne causaient aucun scandale. C’est sur cette assurance qu’ils sont arrivés ici. Bien que leurs ennemis eussent répandu des bruits injurieux contre eux, plusieurs personnes et notamment l’illustre ministre de votre altesse, et quelques prédicateurs réformés, ont, sur ma demande, conféré longuement avec eux, et ils ont été forcés d’avouer que leur croyance et leur enseignement étaient conformes à la croyance et à l’enseignement réformés ; que leurs pasteurs n’exercent en public aucune autre religion que la réformée, et affirment hautement souscrire