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Les pasteurs de Hollande, convaincus de l’hypocrisie et de l’humeur turbulente de Labadie, bénissent le Seigneur après son départ d’avoir purgé son aire, de cette paille légère qui vole à tout vent de doctrine et d’avoir nettoyé l’or de son sanctuaire de cette écume qui en ternissait l’éclat. On accablait l’hérésiarque de calomnies sans vraisemblance, attestées cependant par des hommes de probité et de créance.

Elevé par les jésuites, jamais, disaient ses accusateurs, il n’avait été déjésuitisé. On aurait pu lui dire, prétend le pamphlétaire, comme autrefois un vice-roi de Sicile, à ses premiers maîtres : Perdonate mi, padre mio, voi havete la mente nel cielo, gli mani nel mondo, l’anima a tutti diavoli.

Labadie, c’était un grave reproche, se donnait le titre de pasteur sans marquer le nom de l’église où il en faisait fonction, comme s’il affectait d’être considéré dans l’église au même rang que les frères des rois sont en France, à qui l’on donne purement et simplement la qualité de Monsieur. Les scandales évoqués étaient par leur nature et leur ancienneté difficiles à prouver comme à contredire ; non-seulement à l’égard des nonnains du tiers-ordre à Toulouse, qu’il avait fait mettre toutes nues pour leur prêcher en cette posture l’état d’innocence sur les principes de l’adamisme. Le Saint-Esprit, dit le même pamphlet, lui inspirait des chansons à danser en honneur du Dieu de la messe. Pour un auteur protestant, le Dieu de la messe est un ennemi. Les paroles consacrées à sa gloire compromettaient plus encore que les airs à danser sur lesquels on devait les chanter. Les seuls exemples qu’on en donne feraient croire que Labadie composait ou choisissait les airs et donnait à l’auteur des paroles ce que les musiciens appellent un monstre.


Le soleil et la lune,
La lune et le soleil ;
N’avez-vous pas ouï l’horloge ?
Ne savez-vous pas quelle heure il est ?


À ces accusations sans preuves, Labadie n’avait rien à répondre. Mais quand on donnait prise à la dialectique, l’argument en forme ne se faisait pas attendre. Un pamphlétaire lui attribuait une conscience d’autruche. Il répond avec plus de sérieux que d’esprit : « Qui fut jamais assez malavisé pour prêter une conscience à un si sot animal ? »

Labadie, pour le troupeau qui le suivait, était devenu chef suprême et directeur souverain des consciences. Ses disciples des deux sexes partageaient avec lui sa vaste demeure, et les repas abondans et recherchés dont les fidèles faisaient les frais. À ceux qui