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mais, sans désavouer les conclusions, ne peut concevoir comment, entre ces substances si différentes, peut s’établir l’union, la dépendance et l’action mutuelle. Ce problème passe la portée de l’esprit humain ; aucun ne l’a résolu, nul n’a su éclairer cet abîme de ténèbres. Élisabeth comprend qu’elle n’y peut rien comprendre et veut, modestement, dans cette preuve de bon sens, en voir une de stupidité.

« M. Palotti, dit-elle, m’a donné tant d’assurance de votre bonté pour chacun et particulièrement pour moy, que j’ay chassé toute autre considération de l’esprit hors celle de m’en prévaloir, en vous priant de me dire comment l’âme de l’homme peut déterminer les esprits du corps pour faire les actions volontaires (n’estant qu’une substance pensante), car il semble que toute détermination du mouvement se fait par la pulsion de la chose mue à manière dont elle est poussée par celle qui la meut ou bien de la qualification et figure de la superficie de cette dernière. L’attouchement est requis aux deux premières conditions et l’extension à la troisième. »

En dépit des explications que lui propose Descartes, Élisabeth s’obstine à ne pas comprendre comment l’âme (non étendue et immatérielle) peut mouvoir une masse étendue. Les sens nous montrent que l’âme meut le corps, mais n’enseignent point la fasson dont elle le fait.

Élisabeth pense qu’il y a des propriétés de l’âme qui nous sont inconnues et qui pourraient peut-être renverser ce que les méditations métaphysiques du maître lui ont persuadé par de si bonnes raisons. Mettant les préceptes au-dessus des conclusions, elle ose appliquer, contre Descartes, la première de ses maximes : « Toute erreur vient de former des jugemens de ce que nous ne percevons pas assez. » Descartes, loin de s’en plaindre, accepte la lutte, se pique de surmonter des difficultés insurmontables et soumet, malgré sa résistance, cet esprit ferme, tenace et ami de la lumière ; il en était fier à bon droit.

Descartes ne refusait rien à Élisabeth. Il a composé pour elle le Traité des passions. Ce titre pourrait faire naître une très fausse pensée sur la jeune fille désireuse d’approfondir la théorie des passions, sur le bon sens aussi du philosophe qui, pour diriger sa jeune amie dans une situation fort délicate, lui proposerait une telle étude.

Ces appréciations seraient injustes.

La passion, dans la langue de Descartes, est le contraire de l’action. Toute idée dans laquelle l’âme est passive est étudiée dans le Traité des passions. J’approche trop du feu, je me brûle : la souffrance est une passion.

Élisabeth, lorsque Descartes s’appliquait, pour l’instruire, à réunir