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valet qu’il avait, à la rencontre du prince, ayant chacun une grande fourche ferrée à la main, et, sans le saluer, lui dit en grondant : « König von Behemen ! König von Behemen ! » c’est-à-dire : « Roi de Bohême, roi de Bohême, pourquoi viens-tu perdre mon champ de quenolles. » Ce qui fit retirer le roi tout court en faisant des excuses. Dumourier, témoin de ce fait, ajoute en le racontant : « Que l’on ne s’étonne pas de ce que ce paysan fût si bien habillé, car les paysans de Hollande sont mieux couverts que les conseillers des présidiaux et les plus riches élus du royaume, et il y en a qui donnent en mariage à leurs filles une tonne d’or, c’est-à-dire, parlant en termes de ce pays-là, 100,000 livres. »

Les enfans du roi de Bohême, quoique beaucoup moins riches, pouvaient prétendre à de brillans mariages. Élisabeth, très jeune encore, fut demandée par le roi de Pologne, Wladislas V, qui plus tard épousa la princesse de Gonzague. Elle refusa, sans hésiter, d’épouser un catholique. Mlle de Montpensier, parlant dans ses mémoires d’Anne de Gonzague, devenue princesse palatine par son union avec Édouard, jeune frère d’Élisabeth, s’étonne d’un aussi pauvre mariage. « Elle épousa en cachette, dit mademoiselle, et sans le consentement de la cour, M. le prince Édouard, l’un des cadets de M. L’électeur palatin. Elle revint à la cour, et comme son mari était fort gueux et jaloux, et elle d’humeur fort galante, elle l’obligea de consentir qu’elle vît le grand monde et lui persuada que c’était le moyen de subsister et d’avoir les bienfaits de la cour ; alors elle suivit son inclination et força celle de son mari par la raison et la nécessité. »

Cette situation faite à son frère, d’époux d’une femme fort belle et fort recherchée, qui vivait d’intrigues, était pour Élisabeth une des plus grandes amertumes de sa vie très souvent troublée. La petite cour de La Haye supportait les coups redoublés de la mauvaise fortune avec plus de fierté que de dignité et de force.

L’amiral Pierre Hein avait capturé près de Cuba la flotte d’argent d’Espagne, estimée plus de 20 millions, sans compter les vaisseaux et les galions. Les plus grands personnages de la Hollande et tous les curieux assez riches pour équiper une embarcation voulurent saluer l’entrée de l’heureux vainqueur dans le Zuyderzée. La petite barque dont Frédéric s’était contenté par économie fut renversée par le choc d’un vaisseau. Le prince Henri, fils aîné de Frédéric, disparut en criant : « Sauvez mon père, sauvez-moi ! » Le père revint seul à La Haye.

L’espoir obstiné d’une restauration soutenait seul les courages. Les instances continuelles de Frédéric importunaient le roi d’Angleterre Charles Ier, son beau-frère, la France, qui, par une convention déjà ancienne, avait garanti l’intégrité de ses états, l’électeur