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vers les libéraux. C’est là le point noir pour le ministère d’ici aux élections générales, et lord Salisbury aura peut-être besoin de bien des succès diplomatiques pour compenser l’affaiblissement croissant dont il semble atteint devant l’opinion anglaise déjà ébranlée.

Aussi bien l’Angleterre, à part ses difficultés intérieures et ses ambitions extérieures, tournées aujourd’hui vers l’Afrique, va se trouver engagée, comme bien d’autres pays, dans une affaire qui touche à tous les intérêts, à toutes les relations d’industrie dans le monde. On est peut-être, en effet, au début d’une crise du commerce universel qui doit sûrement atteindre la nation anglaise, — la plus commerçante des nations, — qui atteindra forcément aussi tous les autres grands États en rapports avec les États-Unis d’Amérique. En un mot, le bill, le fameux bill qui a reçu son nom de M. Mac-Kinley, qui a été complété et fortifié par des amendemens successifs, n’est plus une simple éventualité. Il a été discuté et voté par les deux chambres, à Washington, sanctionné par le président, M. Harrisson; il est mis à exécution dans tous les ports américains depuis le 6 de ce mois, — et ce bill, dernier mot du protectionnisme le plus raffiné, est tout simplement une déclaration de guerre commerciale au vieux monde. C’est le marché américain interdit, par une sorte de coup d’État économique, à tous les produits européens, aux tissus et aux machines d’Angleterre comme aux objets de fabrication française, à nos vins comme aux vins d’Espagne, aux marbres d’Italie comme aux productions de l’industrie belge ou allemande. A la vérité, autant qu’on en puisse juger à distance et à travers l’obscurité d’un amas de textes confus, les Américains semblent avoir inscrit au dernier moment dans leur bill un certain principe de réciprocité; en d’autres termes, ils se seraient ménagé la possibilité d’adoucir leurs tarifs à l’égard des pays qui se montreraient accommodans et feraient à leurs produits les plus larges concessions. Telle qu’elle est, malgré tout, cette législation nouvelle, sans aller jusqu’à une exclusion formelle, ne ressemble pas moins à une prohibition à peine déguisée. Les droits de douane qui viennent d’être inaugurés s’élèvent jusqu’à cent cinquante, même à deux cents pour cent sur certaines marchandises étrangères, et ce qu’il y a de plus curieux, c’est que ces citoyens de la grande république ne craignent pas de remettre entre les mains du président le droit de disposer arbitrairement des relations commerciales des États-Unis, d’exercer les représailles qu’il voudra contre les pays qui se permettent de suspecter certains produits américains. Ceci est une vengeance des porcs insalubres que l’Europe se permet de consigner à ses frontières! D’une manière plus générale, on pourrait ajouter que c’est un acte politique autant qu’économique, destiné à capter les états industriels de l’Union, les électeurs républicains, à la veille du renouvellement prochain du congrès.

Voilà où l’on en vient! Qu’arriverait-il si l’Europe, qui est évidemment