Page:Revue des Deux Mondes - 1890 - tome 101.djvu/946

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Laissant pendre à plis droits sa robe orientale,
Un Spectre douloureux, blême, aux longs cheveux roux,
En face du grand Moine, immobile en sa stalle,
Se dressa, mains et pieds nus et percés de trous.

Comme un bandeau royal, l’épais réseau d’épines,
D’où les gouttes d’un sang noir ruisselaient encor,
Se tordait tout autour de ses tempes divines
Sous les reflets épars de l’auréole d’or.

Et ce Spectre, debout dans sa majesté grave,
Hôte surnaturel, toujours silencieux,
Sur l’Élu des Romains et du sacré conclave
Épanchait la tristesse auguste de ses yeux.

Mais le Pape, devant ce fantôme sublime,
Baigné d’un air subtil fait d’aurore et d’azur,
Sans terreur ni respect de la sainte Victime,
Lui dit, la contemplant d’un regard froid et dur :

— Est-ce Toi, Rédempteur de la chute première?
Que nous veux-tu? Pourquoi redescendre ici-bas,
Hors de ton paradis de paix et de lumière.
Dans l’Occident troublé que tu ne connais pas?

N’aurais-tu délaissé l’éternelle demeure
Que pour blâmer notre œuvre et barrer nos chemins,
Et pour nous arracher brusquement, avant l’heure,
Le pardon de la bouche et le glaive des mains?

Ne nous as-tu pas dit, Martyr expiatoire :
— Allez ! dispersez-vous parmi les nations ;
Liez et déliez, et forcez-les de croire,
Et paissez le troupeau des générations?

Les âmes, te sentant trop haut et trop loin d’elles,
Erraient à tous les vents, sans guide et sans vertu.
La faute n’en est pas à nous, tes seuls fidèles.
Ce qui dut arriver. Maître, l’ignorais-tu?