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le fil d’une manière si éclatante, il est permis d’en chercher une raison supérieure dans le lien qui unit l’agriculture à la politique par la pensée, non-seulement de multiplier les productions, mais de refaire les mœurs qui attachent les hommes à la terre, ces fortes mœurs rurales qui règlent l’activité en même temps qu’elles la fécondent. Sur ce point le roi était d’accord avec Sully et, si dans la question de la propagation de la soie, il redoutait moins que Sully les effets de l’industrie et du luxe, il ne regardait pas moins le travail agricole comme le plus salutaire de tous, et la richesse qui en naît comme la plus indispensable pour ces classes populaires, sur lesquelles sa pensée se portait avec une sollicitude à laquelle la politique n’avait pas moins de part que l’humanité. L’agronome et le prince pouvaient s’entendre. Tous deux, à des degrés et à des rangs fort inégaux, avaient eu leur rôle dans les guerres civiles, dont ils désiraient ardemment réparer les maux, l’un en apportant son livre, l’autre en donnant à la France un gouvernement. Olivier entrait dans cette pensée. Dans sa dédicace, provoquée, dit-on, par le roi lui-même, il transcrivait et commentait cette parole de l’Écriture : « Le roi consiste, quand le champ est labouré. » A deux cents ans de date, presque année pour année, un autre restaurateur de la société française devait s’en souvenir. En même temps qu’il faisait appel à la religion avec le concordat et que le Génie du christianisme venait en aide à ses desseins, il adressait le même appel à l’agriculture, et, n’ayant pas sous la main quelque grand et populaire agronome contemporain sur lequel il put s’appuyer, il faisait imprimer une magnifique édition du Théâtre d’agriculture et élever à son auteur un monument inauguré avec un éclat solennel. Qu’a donc été la guerre dans l’existence tranquillement féconde d’Olivier de Serres? Un épisode qu’on grossirait à tort, et qui n’a laissé aucune tache sur son honneur, — cette part de l’aventure qui semblait aller chercher jusque dans leurs paisibles demeures les hommes du XVIe siècle. On a oublié les hautes tours et les remparts qui faisaient du Pradel un château fort. On se souviendra toujours de l’œuvre de paix et de civilisation qui s’y accomplit, au profit de la France et du monde.


HENRI BAUDRILLART.