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l’existence du patriarche, au milieu de ses enfans, de ses arbres, de ses vignes, de ses serviteurs ? Les maximes dont il a rempli les trois parties de son ouvrage ne rappellent-elles pas aussi les Proverbes de l’Écriture ? Ce caractère n’exclut pas une bonhomie toute gauloise, mêlée de malice et d’enjouement, un agrément qui paraît même dans des détails rustiques, par eux-mêmes dépourvus d’attrait et qu’il vivifie par des images ou de courtes observations empruntées à la vie morale. Dans cette façon de moraliser et d’écrire, il y a du Montaigne, avec une nuance affectueuse dans ses conseils, aussi éloignée de l’insouciance du scepticisme que de l’esprit étroit et violent de propagande. Tout son objet est de former le parfait gentilhomme rural, moitié guerrier, moitié agricole, dont les armes restent suspendues à la muraille, toujours prêtes à être mises au service du prince et de la patrie, mais dont la pensée habituelle reste aux champs.

Rien ne ressemble moins non plus au sombre fanatisme calviniste que cette aimable philosophie, empreinte d’une sorte d’optimisme inspiré par la joie du devoir accompli et d’une occupation remplie avec un goût porté jusqu’à la passion. Philosophe pratique, Olivier ne cherche que le bonheur à portée et ne raffine pas sur les conditions. C’est ainsi qu’il écrira, le sourire aux lèvres : « La cognoissance des biens que Dieu nous donne est le plus important article ; moyennant lequel nous mesnagerons gaiement tant pour l’utilité que pour l’honneur… Et de là adviendra ce contentement de trouver sa maison plus agréable, sa femme plus belle et son vin meilleur que ce de l’aultrui. »

La morale antique dans ce qu’elle a de plus pur et la sagesse évangélique se mêlent dans les préceptes qu’il adresse à ce propriétaire rural, qu’il appelle le « père de famille. » La fermeté et la douceur doivent se concilier en lui dans ses rapports avec les inférieurs, c’est-à-dire avec les fermiers, qu’il ne faut pas renvoyer pour des défauts tolérables, afin de garder la stabilité le plus possible dans le personnel, c’est-à-dire aussi avec les ouvriers ruraux, auxquels il ne veut ni qu’on demande trop, ni qu’on cède trop, car il les montre déjà exigeans. Aux calculs intéressés qui recommandent l’activité et la vigilance à celui qui cherche à tirer le meilleur parti de sa terre, ce propriétaire rural, ce « père de famille » devra joindre la justice envers ses subordonnés, le souci de ne les point « fouler et surcharger, » la charité envers les pauvres et les malades. Vrai code de morale à l’usage de la vie champêtre ! C’est, en effet, un des principaux caractères de cet ouvrage, où tout est senti et original, de faire dépendre le succès des vertus morales, en y joignant l’intelligence théorique de l’agriculture, qu’il oppose à