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Il reste pourtant un argument tenu en réserve par ceux qui renvoient Olivier de Serres à l’agriculture dès ses plus jeunes années et qui l’y confinent jusqu’à sa mort. C’est Olivier de Serres qui le leur fournit. N’est-ce pas lui qui vient lui-même déclarer solennellement qu’il n’a cessé de s’occuper de la culture de ses champs pendant les guerres civiles ? Et dans quels termes il le fait, dans quelle page aussi charmante qu’elle paraît être décisive, et qu’il faut rappeler ici, puisqu’elle figure comme une des pièces importantes dans le procès ? Écoutons-le donc nous dire lui-même : « Mon inclination et l’estat de mes affaires m’ont retenu aux champs en ma maison, et fait passer une bonne partie de mes meilleurs ans, durant les guerres civiles de ce royaume, cultivant ma terre par mes serviteurs, comme le temps l’a pu porter. En quoy Dieu m’a tellement bény par sa sainte grâce que, m’ayant conservé parmy tant de calamitez, dont j’ay senti ma bonne part, je me suis tellement comporté parmy les diverses humeurs de ma patrie, que, ma maison ayant esté plus logis de paix que de guerre, quand les occasions s’en sont présentées, j’ai rapporté ce tesmoignage de mes voisins qu’en me conservant avec eux, je me suis principalement addonné chez moi à faire mon mesnage. » Et voyez comme il insiste, comme il redouble et développe son affirmation, qu’il semble craindre de ne pas avoir encore assez motivée : « Durant ce misérable temps-là, à quoi eussé-je pu mieux employer mon esprit qu’à rechercher ce qui est de mon humeur ? Soit donc que la paix nous donnast quelque relasche, soit que la guerre, par diverses recheutes, m’imposast la nécessité de garder ma maison, et que les calamitez publiques me fissent chercher quelque remède contre l’ennuy, trompant le temps, j’ay trouvé un singulier contentement, après la doctrine salutaire de mon âme, en la lecture des livres de l’agriculture, à laquelle j’ay de surcroist adjousté le jugement de ma propre expérience. »

En présence d’une pareille page, nous avions cru, nous aussi, la cause jugée, et pourtant il est visible que tout se réduit ici à une question de date. Le siège de Villeneuve est de 1573. Le Théâtre d’agriculture, d’où ce passage est extrait, paraît en 1600. Entre les dates, vingt-sept ans se sont écoulés. N’est-ce pas une assez grande durée pour que tout ce qu’affirme Olivier de Serres se soit à la lettre réalisé ? Vingt-sept ans, presque le double de la durée que Tacite appelle « un grand espace de la vie humaine ! » Vingt-sept ans, n’est-ce pas plus qu’il n’en faut pour modifier les âmes et changer les destinées ? Oui, après les événemens de Villeneuve, Olivier de Serres a pu passer ces longues années dans une paix profonde. Il devait en avoir assez de ces guerres civiles qui se