Page:Revue des Deux Mondes - 1890 - tome 101.djvu/904

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

lui-même déclarait, dans le second volume de son édition du Théâtre d’agriculture, qu’il s’était trompé en admettant cette interprétation. Ce qui est invraisemblable, c’est ce Pradel quelconque venant on ne sait d’où et se faisant obéir de tous. On n’éprouve aucune de ces incertitudes en face du seigneur du Pradel, si l’on se reporte à ce que nous avons dit des sentimens qu’il professait, de son rôle antérieur dans le protestantisme, si l’on tient compte du lieu même qu’il habitait entre Mirabel et Villeneuve. En voyant à quel point tout le désignait comme le représentant le plus en vue du protestantisme dans la localité, on en vient même à se demander s’il n’eût pas été fort extraordinaire que, étant ce qu’il était, Olivier fût resté dans l’inaction. C’est la thèse que soutient, d’une manière un peu inattendue peut-être, M. L’abbé Chenivesse, aussi concluant à mon sens sur ce point qu’il l’est peu sur les complicités beaucoup plus graves qu’il impute à Olivier de Serres. Il rappelle la situation influente dans le protestantisme du seigneur du Pradel, ses antécédens, le moment critique où une troupe de ses coreligionnaires est là, toute frémissante, près de tenter l’expédition contre Villeneuve, retombée aux mains des catholiques, « l’on voudrait, ajoute-t-il avec une conviction qu’il nous fait partager, l’on voudrait qu’au moment où cette troupe, descendant de Mirabel, rasait le pied des murailles du Pradel et allait monter à l’assaut de sa ville natale, où il avait tant d’intérêts et tant d’amis, où tant d’hommes allaient périr pour une cause qui était la sienne, on voudrait que lui, Olivier, lui élevé dans un château fort, exercé au maniement des armes, à l’âge de trente-quatre ans, dans la plénitude de la force et du courage, fût rentré paisiblement dans sa demeure pour s’y livrer au repos, ou pour aller contempler du haut d’une de ses tours le mouvement des troupes, prêter l’oreille au cliquetis des armes, ou contempler ses vignes et ses vergers! Lui, l’âme, le promoteur de l’expédition, le sectaire ardent! Cela est impossible; c’est contredit par son caractère, par son passé, par sa position, par toutes les circonstances du moment. Il n’aurait plus osé se présenter devant ses coreligionnaires, ni même porter l’épée de gentilhomme ! » Fort bien. Mais alors où est le crime d’avoir fait le siège de Villeneuve? Pourquoi ce ton de blâme perpétuel de la part des auteurs hostiles à Olivier? Qu’ils l’avouent donc sincèrement ! Si Olivier de Serres eût été catholique, et qu’il eût entrepris d’enlever Villeneuve aux mains des protestans, ils montreraient beaucoup moins d’amertume, ou plutôt ils n’hésiteraient pas à approuver l’acte libérateur, et il ne serait plus question du « caractère fourbe » d’Olivier, accusation jetée sans motif et que n’accompagne aucune preuve.