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cette visite au Pradel, une raison de plus que notre Anglais, pour aborder avec un pieux respect cette terre, habitée et cultivée par l’auteur du Théâtre d’agriculture : notre hommage n’allait pas seulement à l’agronome, il s’adressait au grand Français, dont le nom reste lié à ceux d’Henri IV et de Sully. Le Théâtre d’agriculture ou Mesnage des champs marque en effet une date, bien qu’il la dépasse par sa portée et par sa durée : c’est celle de la pacification et de la régénération de la France. L’ouvrage s’en ressent de toutes façons. Il est comme empreint de calme et de sérénité. Les lieux qu’on visite ne respirent pas moins la paix. À peine quelques bruits ruraux, rares et lointains, en troublent le silence. L’histoire elle-même, qui a passé par là avec les agitations des temps troublés, ne produit qu’une impression de recueillement. Les souvenirs qui se présentent ne mettent sous les yeux que le tableau doucement animé des productions de la terre et des créations du travail utile, au temps où le maître vivifiait par sa présence ce théâtre d’expériences fécondes. Voici les champs qu’il parcourait, « le livre au poing, ayant l’œil aux gens et aux affaires, » comme il dit avec sa façon de parler expressive. Le regard cherche l’ancienne demeure seigneuriale. Peu de choses en subsiste, mais ce qui survit reste imprégné de la couleur du siècle et de la mémoire de l’ancien hôte. Nous voyons, grâce à l’obligeance aimable de l’hôte nouveau, M. de Wattré, le descendant de la famille de Serres, dont il continue les traditions en faisant valoir lui-même le domaine du Pradel, à peu près tout ce qui peut offrir une pâture au souvenir. Ce sont quelques papiers intéressans d’Olivier de Serres, son livre de raison, son testament olographe, son portrait, à l’âge de quatre-vingts ans. Ce portrait, peint par la main peu expérimentée, mais délicate, de son fils Daniel, présente une tête fine, moins caractérisée et moins énergique que dans d’autres images qui le représentent dans la force de l’âge. Quoi encore ? La terrasse que le temps et les hommes ont respectée et d’où on embrasse les champs cultivés, quelques ornemens de sculpture, le vieux tronc d’un mûrier, dernier témoin de ceux qu’il a plantés, et quelques chênes qu’on dit contemporains. L’imagination, aidée de la mémoire, reconstitue ce qui manque dans ce domaine que d’anciennes descriptions nous montrent très orné et tout plein de frais ombrages au temps où Olivier de Serres en faisait à la fois un champ de travail et un lieu de délices. Les bosquets et les fontaines qui en étaient un des principaux charmes revivent dans ce qu’en dit un poète médiocre, mais familier dans la maison, François Chalendard. Olivier ne s’est-il pas, d’ailleurs, peint lui-même « contemplant les belles eaux coulantes à l’entour de la maison, semblant lui tenir compagnie, qui rejaillissent en haut, qui parlent, qui chantent en musique, qui contrefont le chant des oiseaux, l’escoupeterie