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UNE INDUSTRIE PASTORALE.

D’autre part, les tarifs de chemins de fer pèsent lourdement sur notre production. Dès 1886, la chambre de commerce du Jura se plaignait que la Compagnie de Paris-Lyon-Méditerranée transportât les fromages suisses moitié moins cher que les produits français. Des Iromages suisses, allant de Petit-Croix à Marseille et passant par Lons-le-Saunier, paient 45 francs, et ceux partant de cette dernière gare 55 fr. 50, soit 10 fr. 50 de plus pour un parcours moindre de 198 kilomètres. Pour Saint-Nazaire, une expédition de 5 000 kilogrammes, partant de Verrières, est transportée au prix de 42 francs la tonne, tandis que, de Pontarlier à Paris, le tarif est de 42 francs la tonne ; même prix, double parcours. Une pétition, appuyée par M. Viette, transmise par le ministère des travaux publics, a amené la compagnie de Paris-Lyon-Méditerranée à accorder quelques satisfactions.

Non moins juste, non moins raisonnable semblait la requête adressée au conseil municipal de Paris par MM. Alfred Bouvet et Milcent au nom des syndicats agricoles du Jura. L’octroi de Paris exempte de tous droits les fromages à pâte molle, qui sont, — quelques-uns du moins, — des fromages de luxe ; ainsi le livarot première qualité vaut 315 francs les 100 kilogrammes, le camembert 250, le brie 260, le roquefort 320 ; au contraire, il frappe le gruyère d’un droit exorbitant de 11 francs les 100 kilogrammes. Que devient la règle de l’égalité en matière d’impôt ? Pourquoi le tarif actuel grève-t-il la chose à bon marché, et pourquoi l’objet de luxe y échappe-t-il ; car le gruyère a pour principal consommateur l’ouvrier, tandis que la classe riche préfère, à tort d’ailleurs, les brie, les camembert, les coulommiers ? Comment refuser l’uniformité, la taxe unique pour tous les fromages ? Le retour à l’égalité encouragerait l’industrie de la petite culture et ces nombreuses sociétés coopératives, qui sont de véritables modèles de socialisme pratique. Cependant le conseil municipal de Paris a fait la sourde oreille. L’an dernier, une petite commune du Jura ayant expédié à la halle sa production, elle dut verser à l’octroi plus de 400 francs pour une vente de 4500. Voilà le tribut que de modestes campagnards ont payé à la ville qu’ils ne verront jamais.

Le gruyère contient moitié moins d’eau que la viande, deux fois plus d’azote, trois fois plus de carbone, douze fois plus de matière grasse ; il est deux fois plus riche en matière azotée, qui forme la substance des muscles, cinq fois plus riche en élémens respiratoires, c’est-à-dire en élémens qui distribuent la chaleur et la force à l’homme ; il stimule singulièrement la digestion. Pourquoi ne pas l’admettre, à titre facultatif, dans l’alimentation du soldat et du marin ? Pourquoi, au lieu des 300 grammes de viande que com-