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UNE INDUSTRIE PASTORALE.

quantité ; est-il surchargé de bétail, le lait diminue en quantité et qualité.

L’amodier paie 60 à 80 francs par vache pour quatre mois ; mais on lui verse une redevance de 10 à 20 francs par tête de veau ou de bœuf qu’il entretient. Une vache vêle-t-elle pendant son séjour sur l’alpe, le veau appartient à l’amodier afin de compenser pour lui la perte de lait ; en cas d’accident, elle périt pour le propriétaire, mais l’amodier doit lui livrer la peau. La traite se fait deux fois par jour : les vachers sont munis d’une poche en cuir contenant du sel dont ils donnent une pincée à chaque bête après l’opération. On compte 4 ou 5 hommes pour un troupeau de 75 à 80 vaches : le chef ou fromager reçoit 300 francs pour la campagne, ses aides 120 à 150 francs ; ils vivent des produits de la laiterie, de soupe aux légumes, et de pain : point de viande de boucherie. M. Lind Roth[1] remarque que le chalet et ses alentours sont fort malpropres, mais il constate la bonne tenue des ustensiles, et s’étonne qu’on produise d’aussi excellens fromages dans des locaux dont les abords ont un aspect presque repoussant. De voir des vaches que la pluie seule nettoie, cela le désole et l’indigne un peu. Mais quoi ! la propreté, chez ces gens-là, ne passe point pour une vertu cardinale et j’en sais qui la considèrent comme un luxe réservé aux riches ou aux jours de fêtes carillonnées. On n’engraisse pas ses cochons avec de l’eau claire ; le balai et le torchon ne rapportent pas de pain à la maison, disent-ils en manière d’excuse.

Voici le compte approximatif des opérations d’un chalet visité par M. Lind Roth.

Dépenses : loyer, 2 500 fr. ; fromager, 300 fr. ; quatre hommes, 400 fr. ; 73 vaches à 73 fr. 50, 5 335 fr. ; divers (sel, etc.), 300 fr. ; 20 porcs, 400 fr. Total, 9 265 francs.

Recettes : 100 têtes de bétail à 20 fr., 2 000 fr. ; 11 200 livres de fromages à 68 centimes la livre, 7 677 fr. ; 20 porcs à 75 fr., 1 500 fr. Total, 11 177 francs. — Bénéfice net : 1 912 francs.

J’ai expliqué le système des fromageries collectives, celles où la société exploite pour son propre compte le lait, engage un fruitier, vend elle-même ses fromages. Il y en a un second qui s’est développé surtout en Suisse, que d’aucuns préconisent avec ardeur et qui semble constituer un progrès à rebours : l’association vend le lait à un entrepreneur ou fruitier qui le paie chaque mois, un prix fixé d’avance, dix, onze, douze centimes le litre ; elle fournit le local, l’installation, les ustensiles. Moins de responsabilité pour le paysan, l’argent ren-

  1. Lind Roth : l’Industrie laitière suisse.