Page:Revue des Deux Mondes - 1890 - tome 101.djvu/884

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
878
REVUE DES DEUX MONDES.

de petit-lait, lesquels fournissent 400 à 750 grammes de beurre de brèches.

Pour avoir le serai, amenez jusqu’à l’ébullition le petit-lait écrémé, jetez-y 3 à 5 pour 100 d’aisy ; l’albumine en dissolution se coagule, apparaît à la surface : on l’enlève, on l’égoutte, on la transvase dans un moule garni d’une toile : voilà le serai ou séré, aliment très sain qui se consomme à la campagne. Trois cents litres de lait employés à fabriquer un fromage gras rendent 8 ou 9 kilogrammes de ce second fromage. Après le beurre blanc, le petit-lait sert encore à l’engraissement des porcs ; mais après la sortie du serai, le liquide verdâtre qui reste dans la chaudière ne convient plus aussi bien : on l’appelle alors la recuite ; elle sert à préparer l’aisy et la présure ; le reste est distribué aux associés qui le donnent à leurs porcs.

Les fromages de Gruyère se partagent en trois catégories : les fromages gras, connus sous le nom d’Emmenthal, fabriqués avec du lait non écrémé, reconnaissables à leur grosseur, au moelleux de la pâte, à la rareté des yeux ; les fromages demi-gras, obtenus en mélangeant, la traite du soir, plus ou moins écrémée, avec celle du matin qui ne l’est point ; enfin les fromages maigres ou séchons, de qualité inférieure, fabriqués l’hiver dans les petites fromageries, avec du lait écrémé aux trois quarts ou aux quatre cinquièmes[1].

Moins vous écrémez, mieux vaut le fromage ; voilà un principe admis partout en Suisse, méconnu par beaucoup de nos fruitiers. Mais, s’écrient-ils à l’envi, et les ménagères appuient sur la chanterelle, mais l’écrémage empêche la lainure, les fromages gras sont exposés à se bomber pendant les chaleurs et à fondre en route ; d’ailleurs la vente du beurre subvient aux besoins journaliers du ménage, et cette fabrication mixte fournit un revenu plus considérable. « Tout ça, c’est des mentes, me disait une bonne femme, et des sorcelleries du diable ! Dieu merci, nous gagnons des sous avec notre vieil usage. Pourquoi changer ? On n’apprend pas à sa mère à faire des enfans. »

La vérité fait tout doucement son chemin dans le monde ; vingt fois on la repousse comme un chien galeux, elle ne se déconcerte

  1. Pendant l’hiver, beaucoup de fromageries suisses et comtoises ne fonctionnent plus. On fabrique alors dans la Gruyère des vacherins, fromages blancs et mous du genre de nos fromages de boîtes, dits du Mont-Dore, mais trois fois plus gros. Ils se consomment dans tout le canton en fondue bouillante où, comme à la gamelle, on trempe son pain découpé en pain bénit et piqué au bout de la fourchette. Dans nos contrées de l’est, on fait des fromages bleus (septmoncel, gérardmer, morbier), des fromages dits de boîtes et des chevrets.