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chez Victor Hugo. La tradition littéraire et la fiction pittoresque ont fait place à une observation sans cesse en éveil qui note et fixe le trait sensible, avant que l’imagination s’en empare pour en faire une métaphore où il risque de se déformer. Aussi est-ce surtout dans les œuvres de ces douze années que nous avons chance de trouver des traces d’impressions immédiates et de sensations exactes pouvant servir d’élémens à la formule que nous poursuivons.

Si l’on parcourt les quatre ou cinq recueils parus entre les Orientales et le Rhin, une remarque s’impose : toutes les descriptions et peintures, toutes les images faisant tableau qu’on rencontre au passage, reproduisent ou évoquent un seul et même objet, le ciel. Sans doute la campagne, les arbres, l’étang, la mer même apparaissent dans ces vers, mais seulement comme offrant des surfaces où le ciel se mire : la nature entière n’existe que par reflet du firmament qui l’enveloppe.

Trois couleurs franches s’y détachent : le bleu, le jaune et le rouge, — et les impressions où elles sont notées sont toutes également issues de l’observation du ciel.

Le bleu, c’est « l’azur, » c’est-à-dire une clarté attendrie, épurée de son ardeur, tamisée de ses rayons violens, un éclat doux, profond et uniforme, qui n’est qu’un état de la lumière et se confond au besoin avec elle.

Le jaune prend le nom « d’or n en poésie, mais cette hypallage ne doit pas nous tromper ici sur les nuances variées qu’elle sert à désigner, et qui n’ont ni la précision ni la stabilité de l’apparence métallique. Le mot « or » exprime, chez Victor Hugo, un certain effet de rayonnement à travers une vapeur, une poussière légère, où les atomes semblent s’enflammer. C’est ainsi que les nuages sont comparés à des « blocs de marbre aux veines d’or, » à des « édifices aux étages d’or, » à des « coursiers aux caparaçons d’or, » où semble passer la main de Dieu.

Si le rayonnement vient à s’affaiblir, à se refroidir, et ne miroite plus qu’à la surface du corps éclairé au lieu d’en pénétrer les particules, l’effet change, et l’or se mue en « argent; » « l’éventail » que la lune étend sur les flots est d’argent ou d’or selon l’heure, aussi bien que « l’étang, lame d’argent, que le couchant fait d’or.»

Enfin ce même rayonnement devient rouge quand il s’échauffe à traverser les vapeurs du matin ou du soir ; et les « pourpres sanglantes « de l’aurore ou du crépuscule, les horizons « rougis de l’or des scarabées » ou « frangés de carmin, » les « feux de forges » et les « reflets de braise » ne sont que de la clarté diluée dans l’air épaissi.

Ainsi ces trois couleurs célestes s’évanouissent devant l’analyse,