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l’effet que nous en espérions. Combien, en recueillant nos souvenirs, nous lui préférâmes les mosquées de Cordoue et de Tolède ! Certes, un tel assemblage de piliers en marbres de choix est fait pour vous enthousiasmer, surtout si l’on se souvient que l’on a devant les yeux des vestiges de la Carthage d’Annibal et de la Carthage de César, mais il manque à tout cela le jour sombre, mystérieux des mosquées espagnoles ; impossible d’y ressentir le trouble qu’éprouve toute âme religieuse lorsqu’elle entre, soit dans le sanctuaire d’une église chrétienne, soit dans celui d’une synagogue, d’un temple de Bouddha ou même dans celui d’une pagode chinoise.

Toute notre admiration se concentra sur l’admirable et sans pareille mosquée du Barbier du Prophète, située hors des murs, non loin des citernes que l’ancienne dynastie des Aghlabites y reconstruisit, et que l’incurie musulmane a laissé s’ensabler. Impossible de rêver des arabesques plus parfaites et plus délicates, des faïences d’un émail plus riche, des peintures mieux finies, des portiques plus légers, que ceux qu’il nous fut permis d’y voir. C’est peut-être trop dire en prétendant que la vue de ce merveilleux bijou mauresque vaut le voyage, mais vous oublierez à le regarder les nuages de poussière, les pistes sablonneuses, les nombreux coups de soleil par lesquels il vous a fallu passer pour arriver jusqu’à lui.

Kairouan qui, comme le Caire et Fez, avait été le siège d’une université aussi célèbre dans le nord de l’Afrique que le furent en Europe Paris et Salamanque; Kairouan, après s’être vue le centre de riches industries et d’un grand commerce, a tout perdu à la suite de querelles intestines ; depuis un grand nombre d’années, elle est restée ce qu’en a dit Léon l’Africain au XVIe siècle : « Une campagne aréneuse et déserte ne produisant ni arbres ni grains. Ses habitans sont de pauvres pelletiers et tanneurs de peaux de chevreaux. » Depuis lors, on y voit des fabriques de tapis, mais ceux qu’on a placés sous nos yeux n’ont pu nous tenter. Les couleurs en étaient trop violentes et les dessins trop peu mauresques. Il y a mieux dans les souks de Tunis.


EDMOND PLAUCHUT.