Page:Revue des Deux Mondes - 1890 - tome 101.djvu/833

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pour justifier ce qu’en dit la légende. Il n’y avait ni carrières de pierre, ni cours d’eau là où le conquérant arabe, Okbar, voulut comme Louis XIV édifier une ville dans un désert. Tout à coup, à sa prière, les roches du défilé se dirigèrent debout et en rangs pressés vers le lieu désigné par l’obstiné soldat. Et l’eau? Ce fut une gazelle qui, en grattant la terre de son pied mignon, fit découvrir la seule source d’eau douce qu’on y voit aujourd’hui, et qui porte le nom de Puits du Chameau. C’est, en effet, un de ces patiens animaux, installé au premier étage d’une maison arabe, qui, en mettant en mouvement un manège avec chaînes à godets, fournit l’eau douce à la ville. « Quelquefois, raconte M. de Campou, le chameau s’arrête, reste à la fenêtre en contemplation, et les cuisinières du lieu attendent patiemment, pour remplir leurs cruches, que l’animal ait terminé sa méditation. »

Les rochers du défilé des Souatirs auront peut-être aussi fourni des dalles, des pierres aux dolmens qui, répartis sur une étendue de 250 hectares, séparés les uns des autres par des intervalles de 10 à 50 mètres, ne sont pas une des moindres curiosités de la Tunisie. La forme est pour tous la même : une large dalle posée horizontalement sur trois autres dalles verticales. C’est une sorte de coffret ne mesurant pas plus de 1m,50 de longueur sur 1 mètre de large et 1 mètre de hauteur. Ce qu’il y a de plus extraordinaire, c’est d’y trouver des pierres affectant des formes géométriques, disposées avec une grande régularité tout autour des tombeaux, et servant d’enceintes circulaires à deux, quatre ou six dolmens. Ce sont les docteurs Rebatel et Tirant qui, les premiers, les signalèrent au monde archéologique. Un autre docteur, M. Rouire, m’a dit y avoir pratiqué des fouilles et trouvé des ossemens et des débris de poteries. On sait peut-être qu’au Maroc et en Algérie se rencontrent de pareilles agglomérations de monumens mégalithiques. Quelle en est l’origine? Des savans y voient la route suivie jadis par les caravanes qui, des hauts plateaux de l’Asie, descendirent en Europe par la Phénicie, l’Egypte, la Tunisie, l’Algérie, le Maroc et l’Espagne. D’autres y voient les tombeaux des Germains qui vinrent, à des époques que l’on ne peut fixer, coloniser dans ces régions ; il est en Tunisie une race d’hommes blancs, qui peuvent bien leur devoir leur origine.

Non loin de cette nécropole où jamais ne s’entend un chant d’oiseau, où ne fleurit qu’un pâle lichen et dont la voix humaine ne trouble jamais la solitude, s’étend le plus grand réservoir d’eau douce du nord de l’Afrique. C’est le lac Kelbiah, ne mesurant pas moins de 13,000 hectares, et sur lequel des savans comme MM. Tissot, Roudaire, Rouire et bien d’autres, ont longtemps discuté sans pouvoir s’entendre.