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La société franco-africaine, propriétaire de l’Enfida, ne pouvait avoir la prétention de diriger seule un domaine si étendu. Après avoir transformé l’ancien bourg Dar-el-Bey en Enfidaville, fait d’un vieux bordj une maison spacieuse où les visiteurs reçoivent la plus écossaise des hospitalités, construit une école, une chapelle, un bureau de poste, elle songea, par tous les moyens possibles, à appeler une population indigène ou européenne à l’Enfida, à allotir les terres, à créer des prairies, irriguer, et à conserver les bois existans. On est heureux de pouvoir" dire que le lotissement, l’irrigation, la reconstitution progressive des forêts et l’établissement d’un superbe vignoble ont été menés à bonne fin par la société. Mais, chose plus extraordinaire, on y voit des arbres, oui, de vrais arbres. « Quel étonnement ! » s’est écrié M. de Maupassant, lorsqu’après une longue journée passée sous la pluie, il vit ceux de l’Enfida. « Ils sont déjà hauts, ajoute-t-il, bien que plantés seulement depuis quatre ans, et témoignent de l’étonnante richesse de cette terre et des résultats que peut donner une culture raisonnée et sérieuse. Puis, au milieu de ces arbres, apparaissent de grands bâtimens sur lesquels flotte le drapeau français, c’est l’habitation du régisseur-général et l’œuf de la ville future. Un village s’est déjà formé autour de ces constructions importantes, et un marché y a lieu tous les lundis, où se font de très grosses affaires. Les Arabes y viennent en foule de points très éloignés. Rien n’est plus intéressant que l’étude de l’organisation de cet immense domaine, où les intérêts des indigènes ont été sauvegardés avec autant de soin que ceux des Européens, c’est là un modèle de gouvernement agraire pour ces pays mêles où des mœurs essentiellement opposées et diverses appellent des institutions très délicatement prévoyantes.[1] »

Les propriétaires de l’Enfida auront-ils la gloire de faire renaître la prospérité légendaire de cette contrée privilégiée ? M. de Lanessan le croit et, comme M. de Maupassant, il dit aussi : « En agissant comme ils le font, les propriétaires de l’Enfida ne peuvent manquer d’aboutir à ce double résultat : amélioration du sort de l’indigène et fixation du nomade au sol ; accroissement des revenus annuels et de la valeur marchande du domaine… Ils collaborent ainsi dans une puissante mesure au rapprochement des colons français et des indigènes, pour le plus grand profit matériel des premiers et l’avantage moral des seconds… Ils se préoccupent non-seulement des ouvriers indigènes, mais encore des colons leurs compatriotes… Bientôt un village, puis une petite ville, se dresseront dans un lieu où rien ne troublait, il y a quelques années seulement, la solitude du désert. »

  1. Voyez la Revue du 1er  février 1889.