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au point de vue de la colonisation, peut en effet se diviser en cinq régions : la première, celle qui comprend le littoral nord de la Tunisie et le Cap-Bon, est propice aux oliviers, vignes, orangers, citronniers, mandariniers et grenadiers; la deuxième comprend les vallées de la Medjerda, de l’Oued-Miliana et de l’Enfida. Nous y cultivons le raisin, et les Arabes les céréales. La troisième région, appelée le Sahel, est la terre des oliviers par excellence. Au centre et au nord de la Tunisie se trouvent des massifs montagneux formant une quatrième région où l’indigène ne s’occupe que de l’élevage. Enfin la cinquième région, qui est au sud, est le pays des dattes.

A Gorombalia, une bourgade, première station, où les chevaux s’abreuvent longuement; on peut y déjeuner dans une pièce voûtée, fraîche, mais non sans quelque étonnement d’y être servi par la fille de l’hôte, une belle et jeune personne, au type arlésien, au teint pâle et mat et aux grands yeux noirs attristés. Est-ce de nostalgie?

A quelques kilomètres de Gorombalia se trouve le fondouk de Bir-Affeid. En août 1881, 1,200 soldats français y furent attaqués par 6,000 indigènes et des troupes beylicales; les nôtres durent forcément se replier sur Hamman-lyf, ayant 40 des leurs tués ou blessés. Un marabout qui, du haut d’un minaret, excitait contre nous les indigènes du geste et de la voix, fut abattu par un coup de feu. Presque au même moment, un de nos officiers tomba mort; il fut enterré sur place.

La route qui, jusque-là, a été bonne, devient, en pénétrant dans la région appelée le Khangol, difficile et sablonneuse. La piste, — un défilé, — est en outre obstruée par des thuyas, de grands lentisques, des lauriers-roses, des romarins et des chênes kermès. Il faut choisir la saison des beaux jours, en avril et mai, lorsqu’on veut parcourir la Tunisie en amateur; le soleil, il est vrai, est ardent; votre visage est brûlé, vos mains pèlent, mais qu’importe! Une si belle lumière vous enveloppe, un ciel si bleu est sur votre tête, et la mer, que l’on aperçoit souvent par échappées, est d’un azur si merveilleux, que l’idée de se plaindre d’un mauvais gîte ou d’un dîner sommaire ne vient pas à l’esprit. Il vous arrivera sûrement de vous apitoyer sur les chevaux, enfoncés dans le sable jusqu’aux genoux, et plus d’une fois, par pitié pour eux, vous descendrez de votre landau afin de les alléger. Je sais même des touristes qui, sous un soleil de feu, enfoncés eux-mêmes dans ce sable brûlant, n’ont pas hésité à pousser à la roue! Pauvres petits chevaux tunisiens, on finit par les prendre en amitié, tellement ils vous tirent à plein collier des fondrières et des lits de torrent où le cocher les pousse.