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de colons français agriculteurs, viticulteurs, industriels, directeurs de chemins de fer, pourraient nuire à son administration? Je ne le crois pas. S’il se commettait quelque faute dans le genre de celles que je signalais, — promulgations de décrets ne devant pas être observés, — le poids n’en retomberait pas entièrement sur lui.

M. Massicault est sans contrôle à Tunis, et tous les fonctionnaires, aussi bien ceux de la justice que ceux de l’armée, sont en quelque sorte sous sa dépendance; c’est donc une haute situation, aussi n’est-il pas étonnant qu’on y entende gronder la foudre. Les orages sont fréquens dans les pays d’outre-mer ; le soleil en échauffant les têtes, y fait fatalement fermenter les esprits.


VIII. — LA JUSTICE INDIGÈNE.

Lorsque M. Cambon eut à lutter contre les juridictions européennes qu’il trouva à son arrivée dans la régence en plein épanouissement, les difficultés étaient autrement grandes que celles que M. Massicault rencontre aujourd’hui. Grâce aux capitulations en vigueur depuis des siècles dans les États barbaresques, les consuls étrangers avaient des janissaires, des gardes, des prisons et des geôliers à leur paie; quant à leurs demeures, elles étaient aussi inviolables que les sanctuaires du moyen âge ; à leur seuil, expirait le pouvoir beylical.

Qu’étaient donc ces capitulations, sauvegarde des Européens qui osaient, à des époques peu sûres, s’aventurer dans les États barbaresques ou autres contrées d’Orient? Un ancien magistrat en donne une si claire explication que je prends la liberté de la reproduire textuellement[1] :

« On appelle capitulations l’ensemble des garanties accordées aux nations européennes dans l’échelle du Levant par les gouvernemens musulmans pour assurer le commerce de ces nations et protéger la sécurité de leurs nationaux. Ces garanties étaient nécessaires contre le fanatisme des peuples, qui confondent absolument ce qui est droit et justice avec ce qui est science et pratique religieuse.

« Les premiers rois francs passèrent avec les empereurs d’Orient des traités pour assurer aux marins d’Agde et de Marseille certains privilèges. La première capitulation dont le texte nous ait été conservé date de 1535. Elle fut la conséquence de l’alliance conclue entre Soliman II et François Ier contre la maison d’Autriche. C’était moins un traité qu’une autorisation accordée aux Francs

  1. Les Odeurs de Tunis, par M. Honoré Pontois, 1889.